Les "Larmes" De Marie-Antoinette
soupir.
— Plan-Crépin ! s’indigna la marquise. Ne me dites pas que vous en êtes tombée amoureuse ?
L’interpellée piqua un fard, chercha son mouchoir dans sa manche, ne le trouva pas, alla explorer les coussins du canapé, n’y trouva rien, renifla comme si elle flairait une piste et finalement sortit du salon pour y revenir quelques secondes plus tard, la figure enfouie dans un vaste carré de batiste en demandant :
— A-t-on des nouvelles du colonel ?
— Plan-Crépin, je vous ai posé une question.
— Vraiment ?… Ah oui, je me souviens…
— Eh bien ?
— Eh bien, c’est non ! Ce jeune homme a, dans son regard… un je-ne-sais-quoi qui me fait penser à un ange déchu… Allez-vous maintenant à l’hôpital, Aldo ?
Décidément, elle ne voulait pas s’attarder sur le sujet !
— Pour l’instant, avec votre permission, je vais dormir deux ou trois heures. La nuit qui vient sera longue… Non, Angelina, ajouta-t-il en voyant une petite flamme s’allumer sous ses cils pâles. Vous me ferez le plaisir de rester auprès de Tante Amélie et nous suffirons amplement à la tâche, Adalbert et moi… Quant à Karloff, vous pouvez toujours demander de ses nouvelles par téléphone. C’est le professeur Debray qui s’occupe de lui…
Il allait sortir, se ravisa :
— Et surtout prenez soin de M lle Autié ! Est-elle réveillée ?
— Je viens de passer par sa chambre : elle dort comme une souche !
— Ou comme quelqu’un qui n’a pas fermé l’œil de la nuit ! C’est aussi bien ainsi !
CHAPITRE VII
UNE LETTRE DE BUENOS AIRES
En garant sa voiture dans le jardin de Caroline sous un sorbier afin de la mettre à l’abri de la curiosité du voisinage, Adalbert, comme Aldo d’ailleurs, ne se sentait pas vraiment en forme en dépit du repos de la journée. Avant de venir ils étaient passés par l’hôpital et s’ils y avaient appris que Karloff était hors de danger, le corollaire de cette bonne nouvelle était assorti d’un bémol affligeant : le coup reçu sur la tête lui avait fait perdre la mémoire. Il ne reconnaissait personne, pas même sa femme. Et quand les deux amis s’étaient présentés devant lui, il leur avait dit bonjour mais sans manifester un plaisir quelconque. À croire qu’il ne les avait jamais vus. Il ne se rappelait même pas son propre nom !
— Il est possible que cet état soit temporaire, répondit le chirurgien à la question que posait Morosini, mais il se peut aussi que cela perdure. Tout dépendra de l’évolution.
— Vous comptez le garder longtemps ou bien le rendez-vous à sa femme ?
— Dans quelques jours il pourra rentrer. Bien qu’il ait été retenu prisonnier – il porte des traces de liens serrés ! – sa constitution n’est amoindrie en rien. Il se peut même que, dans son environnement familier, une étincelle se produise…
— Eh bien, il n’y a plus qu’à prier ! conclut Adalbert.
Prier, Liouba et Marfa ne s’en privaient pas. En passant devant leur maison, un instant plus tôt, on avait perçu l’écho de ces oraisons psalmodiées qui sont l’une des beautés du culte orthodoxe…
Curieusement, cette espèce de mélopée leur apporta du réconfort. Elle semblait flotter dans l’air adouci du jardin. La pluie avait cessé. En s’éloignant elle avait emporté avec elle l’aigreur des derniers jours. Son souvenir s’attardait seulement dans l’odeur de l’herbe mouillée et le parfum du chèvrefeuille mêlé à celui des roses mourantes… Aussi, à peine entré dans la maison, Adalbert se précipita-t-il pour ouvrir les fenêtres afin de combattre le vague relent d’humidité et, debout devant l’une d’elles, respira le jardin avec volupté. Aldo, lui, avait allumé une cigarette et, installé dans un fauteuil près du piano, il fumait, la tête renversée en arrière en s’efforçant de ne penser à rien pour avoir l’esprit plus réceptif.
Un courant d’air soudain fit claquer la fenêtre. Adalbert alors referma et vint s’asseoir en face de son ami :
— Et maintenant que faisons-nous ? On attend ensemble dans cette pièce ou bien l’on se sépare : l’un dans la chambre et l’autre ici ?
Aldo jeta un coup d’œil à la pendule. Elle marquait onze heures et demie.
— Il va bientôt être minuit. On va se séparer, tu as raison tu restes ici et moi je vais m’installer dans la chambre.
Adalbert opina d’un hochement de tête, prit à côté de lui
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