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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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Prologue
    Forêt de Brocéliande, dimanche 3 mai 1914
    La forêt embaumait de senteurs fraîches et humides, ranimées par les rayons d’un soleil timide. Elle avait endossé sa parure de printemps, foisonnement de verdure se reflétant dans les mares assoupies. Les frondaisons des arbres murmuraient des berceuses inspirées par la brise, rehaussées par les pépiements d’oiseaux et les grignotements des écureuils sautant de tronc en tronc, traits roux perçant les feuilles. La nature, encore engourdie par les brumes du long hiver, s’éveillait à la vie, et avec elle les esprits invisibles des bonnes dames fées, des lutins et des korrigans. Car cette forêt n’était pas une forêt ordinaire. C’était une forêt à enchantements et sortilèges. La forêt de Brocéliande, qui résonnait encore de la voix de Merlin, du rire de Viviane et des gémissements de Morgane. Une forêt pétrie de terre, d’eau et de vent, mais aussi de contes et de légendes qui ne demandaient qu’à advenir, tirés de l’oubli par la mémoire des hommes. Il suffisait d’y croire.
    Mois de mai, moi des fées, disait-on. Ce dimanche 3 mai 1914 s’annonçait si radieux qu’on pouvait soupçonner les demoiselles des futaies d’y être pour quelque chose. Elles avaient fêté Beltaine deux jours plus tôt, inaugurant la saison claire selon l’ancien calendrier celtique. Après le longsommeil de l’hiver et les pluies du printemps précoce, la nature renaissait dans un éblouissement de soleil. Il y avait comme un parfum d’enchantement dans l’air.
    Ils étaient cinq adolescents à se faufiler dans les sous-bois tapissés de jacinthes mauves et de genêts blonds, jalonnés de bosquet piquetés de houx. Cinq amis, à la vie, à la mort, car ils étaient encore à l’âge des fidélités éternelles.
    À la sortie de la messe célébrée le matin dans l’église de Concoret, dont le nom en breton, Kon Korred , signifiait « Val des fées », ils avaient conservé leurs beaux vêtements du dimanche et s’en étaient allés au cœur de la forêt de Brocéliande comme s’ils partaient à la noce. Car ce jour-là n’était pas comme les autres. Ils se rendaient en pèlerinage à la fontaine de Barenton afin d’y échanger des serments, y jeter des aiguilles et y récolter des miracles.
    Il fallait bien compter deux heures de marche, mais ils avaient l’habitude. En tête venaient Edern et Solenn, se tenant par la main, beaux et fiers comme de futurs épousés.
    Du haut de ses vingt ans, Edern était l’aîné du groupe. Il en avait l’assurance et la prestance. Était-ce à cause de sa taille élancée, de son physique avantageux ou du sang bleu qui coulait dans ses veines ? Sa lignée familiale s’ancrait dans l’une des plus anciennes familles de Brocéliande, les Gaël de Montfort Brécilien, dont le blason d’argent à la croix guivrée de gueule flamboyait de mille feux depuis près de dix siècles. Un jour, Edern de Montfort régnerait sur ces bois qu’il arpentait d’un pas allègre, avec rang de baron. Mais il se moquait bien des seigneuries, des titres et des domaines que les hasards de la naissance avaient déversés sur son berceau. Il n’avait d’autre ambition que d’aimer et d’être aimé de la belle Solenn.
    Solenn Josselin n’avait ni nom à particule, ni ancêtres prestigieux, ni vastes propriétés. Elle n’était qu’une humblefille d’artisan, sans dot ni armoiries. Mais elle avait l’énigmatique beauté d’une fée d’Avalon, des yeux couleur d’étang, la peau blanche de la lune en son plein, les cheveux roux des feuilles de saule à l’automne et elle avait seize ans. Ces trésors-là, aux yeux d’Edern, valaient tous les honneurs du monde.
    Edern et Solenn s’aimaient comme on s’aime à leur âge, à savoir pour la vie, et aujourd’hui ils allaient se fiancer à la fontaine de Barenton.
    Suivaient les témoins de la promesse. Le fidèle Yann, bien sûr. Yann Luzel, fils de garde forestier qui, malgré ses seize ans, avait déjà le regard d’un vieux sage. Son père l’avait très tôt initié aux secrets de la forêt qu’il connaissait comme sa poche. Il parlait peu, accoutumé à la solitude et au silence qui sont les meilleures clés pour pénétrer dans les royaumes sylvestres, mais savait à la perfection imiter le sifflement flûté du merle ou le tireli de l’alouette. Les oiseaux lui répondaient et les bêtes ne fuyaient pas à son approche, rassurées par

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