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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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a des forces qu’on ne connaît pas. Barenton, c’est sacré. C’est comme l’église. Sauf que c’était là bien avantles curés, et ça sera là après. C’est ma grand-mère qui me l’a dit !
    – Allez, on se calme ! intervint Edern, que ces sempiternelles disputes énervaient au plus haut point. Vous allez nous attirer le mauvais œil avec vos chamailleries. À présent, on marche et on se tait !
    Ils se turent en effet et reprirent leur route. Mais la gaieté qui les avait portés jusque-là s’était brusquement envolée comme une nuée de passereaux. Maëlle et Hubert boudaient et ruminaient dans leur coin. Yann affectait l’indifférence. Edern et Solenn se concentraient sur leur amour, mais ils sentaient peser sur leurs épaules un poids qu’ils n’avaient pas tantôt. Ils se réjouissaient depuis si longtemps de cette journée. Pourquoi la gâcher à cause de vaines disputes ? Quand on aime, il faudrait être seuls au monde.
    Ils arrivèrent à Barenton au fort de l’après-midi. Le soleil, filtré par les cimes des pins, allumait des flammèches blondes dans les bosquets d’ajoncs. Une pie jacassa. Un craillement de corneille lui répondit. La sylve sauvage bruissait de présences invisibles. On pouvait, avec un peu d’imagination, distinguer des murmures et des chuchotis. Des fées, sans doute. Elles pullulaient, affirmaient les anciens, aux alentours de la fontaine de Barenton, la seule, de tout le pays gallo, à n’avoir jamais été christianisée, vouée au culte de Notre-Dame ou de quelque saint. Les demoiselles de l’Autre Monde s’y sentaient chez elles et y menaient, la nuit tombée, des laridés 1 et des jabadaos 2 au son des binious et des bombardes sur lequel s’époumonaient korrigans et poulpiquets. Comme dans les festou-noz 3 , elles dansaient d’inlassablescaroles, en se tenant par les petits doigts et en jetant en l’air leurs jambes fuselées, sous la conduite de Satan goz , le vieux Satan. Ici, l’ancienne magie n’avait pas encore été chassée par les fumées d’encens et les chœurs angéliques, et conservait intacts ses pouvoirs et ses ensorcellements.
    Pour qui la découvrait pour la première fois, la fontaine de Barenton avait pourtant quelque chose de décevant. Nichée au milieu d’une clairière d’ajoncs, de genêts et de bruyère, ponctuée de quelques arbustes chétifs, une faible source sourdait de terre et accumulait son eau dans une cuve naturelle ceinte de grosses pierres affleurant le sol avant de s’écouler dans un ru et se perdre dans les sentines. Rien de bien remarquable, en somme. Mais il ne fallait pas se fier aux apparences. La fontaine, depuis plus de mille ans, avait attiré à elle des générations de pèlerins qui, mieux qu’à Delphes ou à Lourdes, venaient y solliciter des oracles et des bénédictions.
    Barenton était une fontaine à vœux.
    Des vœux qu’exauçait ou n’exauçait pas, selon son humeur, la fée qui vivait dans la source.
    Car les fées sont capricieuses et changeantes, comme le temps au printemps, et s’assombrissent aussi vite qu’elles s’ensoleillent. Pour les amadouer, il leur faut des offrandes et des rituels.
    Les cinq amis, qui jusque-là se suivaient en file indienne dans les sentiers tortus ridant la lande, purent enfin prendre leurs aises dans la clairière tant convoitée. Maëlle ôta ses galoches et entreprit de masser ses mollets. Hubert en aurait bien fait autant, mais il était trop fier pour se mettre pieds nus. C’était bon pour les filles, ces abandons-là. Il se contenta de retirer sa veste et son chapeau à large bord et s’épongea le front avec un mouchoir à carreaux qu’il tira de sa poche.
    Yann, accoutumé depuis son enfance aux longues courses dans la forêt, sur les traces de son père, ne ressentait aucune fatigue. Il sourit de voir Hubert, pourtant son aîné de trois ans, rompu par à peine deux petites heures de marche. Le jeune nobliau était visiblement plus à son aise dans les salons de son château de Ker-Gaël que dans les chemins hersés de ronces de la lande sauvage. Puis, sans en avoir l’intention, le fils du garde forestier laissa courir son regard sur les pieds et les jambes nus de Maëlle qui, adossée à un arbre, avait troussé jupe et cottes pour se rafraîchir. Il se détourna brusquement, tout empourpré.
    Edern et Solenn se trouvaient déjà au bord de la fontaine où se jouerait leur sort. La jeune fille tendit le bras vers l’eau jaune

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