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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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et vert dont la surface se mit à frémir.
    – Là ! regarde, Edern. La fée nous sourit !
    C’était en effet l’une des particularités les plus étonnantes de la fontaine. À intervalles irréguliers, de petites bulles montaient des profondeurs de l’onde pour éclater à la surface. On eût dit que l’eau bouillonnait, alors qu’elle était aussi froide que le marbre. C’était la fée, pensait-on, qui produisait ces bulles par ses éclats de rire.
    – Maëlle ! Tu as bien la boîte à épilles  4 ?
    – Dame, oui ! fit la noiraude en laissant choir jupe et jupons pour masquer ses mollets. On n’va point à la noce sans un cadeau pour la dame de la fontaine…
    La benjamine du groupe extirpa d’une poche de son casaquin une petite boîte en fer contenant des aiguilles et des épingles. La fée de Barenton raffolait de ces petits bouts d’acier pointus qui étaient le lot quotidien des couseuses et des ravaudeuses, et elle aimait qu’on en jetât dans sa corbeille d’eau. Pourtant, la fée allait nue, comme toutes lesfées, et n’avait pas de vêtements à coudre. Peut-être voyait-elle, dans ces traits argentés, quelque trésor fabuleux ? Ou bien, tout simplement, jouissait-elle des étincelles que la lumière allumait sur les aiguilles englouties.
    – Il faut former le cercle, intervint Yann, qui faisait office de prêtre païen dans la cérémonie qui se préparait. Maëlle, apporte les épilles …
    L’adolescente obtempéra et s’approcha de la fontaine en serrant sur son sein la boîte d’aiguilles. Elle observa elle aussi le sourire de la fée et fut saisie d’émotion. Toute emmessée qu’elle était des sermons du matin, elle percevait, dans ce coin de nature sauvage, une dimension sacrée qui imposait tout autant le respect et le silence que le chœur d’une église.
    – Edern… Solenn… Postez-vous à l’orée de la fontaine, devant le perron de Merlin, commanda Yann.
    Ce qu’on appelait depuis toujours le « perron de Merlin » n’était qu’une simple pierre plate jouxtant la source. Mais c’est là que, selon la légende, l’enchanteur avait rencontré la jeune fée Viviane et en était tombé amoureux éperdument.
    Ce perron, d’après d’autres légendes, comportait jadis un bol fondu dans l’or le plus pur, relié à la roche par une solide chaînette afin qu’on ne le volât pas. Les passants usaient de ce bol mirifique en le plongeant dans la fontaine pour y boire une eau pure et glacée. Mais gare à l’imprudent qui, d’un geste inconsidéré, aurait laissé choir sur la pierre ne serait-ce qu’une goutte. Le ciel aussitôt se serait assombri, un terrible orage aurait éclaté et un chevalier noir – celui-là même auquel Maëlle faisait allusion en chemin – serait venu défier le coupable en un combat singulier d’où il n’aurait eu aucune chance de réchapper vivant. Chrétien de Troyes avait narré les exploits du sombre gardien de la fontaine dans son Yvain, le chevalier au lion , mais la croyance étaitdemeurée si vivace à travers les siècles que les comtes de Lanval, anciens seigneurs de la forêt de Brocéliande au mitan du XV e  siècle, avaient jugé bon de publier des Usements et coustumes de la forêt de Brécilien dans lesquels on pouvait lire : « Joignant à la fontaine de Belenton, il y a une grosse pierre que l’on nomme “le perron de Belenton” et toutes les fois que le seigneur de Montfort vient à ladite fontaine, et de l’eau d’icelle roule et mouille ledit perron, il pleut au pays si abondamment que la terre et les biens étant en icelle en sont arrosés, et moult leur profite. » Aux temps des grandes sécheresses, les villages alentour avaient coutume de s’en venir à Barenton en longues processions, bannières au vent, croix brandies vers le ciel, chants religieux dans la gorge, pour attirer la pluie sur la contrée désolée. En ces temps médiévaux, la foi ne se démêlait pas encore de la superstition, et on attendait de la Dame de la fontaine qu’elle exauçât ce que refusait Dieu dans ses églises de granit.
    Il suffisait alors que l’azur se pommelle de nuages et se tavelle d’ombre ; il suffisait qu’un crachin suppure des cieux soudain tourmentés ; mieux, qu’une ondée s’abandonne au lieu du pèlerinage, gratifiant les orants d’une bonne rincée, pour que la croyance fût avérée. Le perron avait été mouillé, Barenton avait grondé, la pluie était tombée et le miracle

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