Les Mains du miracle
surexcité par les préparatifs
de l’offensive que von Rundstedt allait lancer dans les Ardennes contre les
troupes alliées. C’était, à la fin de l’année 1944, le suprême coup de boutoir
de la Wehrmacht dans sa retraite.
Quand il se sentit soulagé par le
traitement du docteur, Himmler laissa éclater sa joie triomphante. Il
s’écria :
— Tous les calculs de Hitler
vont se vérifier. Il demeure le plus grand génie de tous les temps. Il sait à
un jour près quand nous aurons la victoire. Le 26 janvier prochain, nous
serons revenus à la côte atlantique. Tous les soldats américains et anglais
auront bu l’eau de la mer. Alors nous aurons assez de divisions libres pour
écraser les Russes. Nous les battrons à mort. Vous allez voir cela quand
entreront en jeu nos armes secrètes.
— Dans ce cas, dit Kersten, il
vous est encore plus facile d’être généreux. C’est dans le triomphe que se
montre un vrai chef magnanime.
Le docteur se mit à exposer dans
leur ensemble les éléments du plan Gunther. Il en avait donné les détails au
jour le jour, par téléphone, à Himmler et celui-ci les avait, en principe,
acceptés. Si bien que Kersten s’attendait de sa part à un accord rapide et
complet. Mais, à sa stupeur qui devint vite de l’angoisse, il trouva chez
Himmler une résistance irréductible, absolue. Tout ce qu’il avait convenu de
faire en faveur des Norvégiens et des Danois, le Reichsführer s’y refusait
brutalement. Il repoussait en bloc toutes les requêtes de la Suède. La
perspective des succès militaires de von Rundstedt, après tant de désastres,
donnait à Himmler un sentiment d’élation enivrante, délirante. Porté par elle
hors des abîmes de la peur et du désespoir où, sans se l’avouer, il venait de
vivre, le Reichsführer considérait de nouveau le monde comme promis à la race
d’élection, au règne du grand Führer germanique. Plus il avait douté de son
idole, plus bas il se prosternait devant elle. Il n’avait qu’un moyen de
racheter sa faute : la cruauté la plus inhumaine.
— L’heure n’est plus à la
faiblesse, répondait Himmler à tous les arguments, à toutes les prières.
Matin après matin, Kersten reprit la
lutte pour le salut des hommes qui agonisaient dans les camps. Il ne réussit
pas à convaincre Himmler, pas même à le faire hésiter.
Sur ces entrefaites, le docteur
reçut un coup accablant : il apprit de source sûre que Venzel avait été
pendu.
Venzel, pour qui tant de fois et
avec tant de chaleur Kersten était intervenu auprès de Himmler ! Karl
Venzel, son vieil et cher ami, dont Himmler avait juré au docteur, la veille
même de son départ pour Stockholm, qu’il aurait la vie sauve !
À peine eut-il compris cela que,
sans réfléchir, sans se faire annoncer, sans même avertir Brandt, le docteur
courut chez Himmler aussi vite que le lui permettait sa corpulence. Il poussa
brutalement la porte du Reichsführer et apparut devant lui, grand, massif, les
poings serrés, le sang aux joues. Et il cria :
— Alors, vous avez fait pendre
Venzel ! C’est ça votre parole ! C’est ça votre honneur ! Et
vous avez osé me donner votre main comme gage de votre serment, comme gage de
la promesse, de la foi d’un grand chef germanique !
Kersten s’arrêta, grondant,
étouffant de chagrin, de colère et de mépris.
Pour une fois, dans son attitude
envers Himmler, il n’y avait eu aucune manœuvre, aucun calcul. Il s’était
abandonné à la force aveugle de ses sentiments. Cela porta davantage que le
plus habile stratagème.
Pris en flagrant délit de mensonge,
de déshonneur, devant le seul homme sur terre par lequel il voulait et croyait
être aimé, admiré, le Reichsführer, qui rêvait d’émuler Henri l’Oiseleur, se
décomposa de chagrin et de honte. Ses épaules s’affaissèrent, son nez
s’amincit, ses lèvres commencèrent à trembler, tout son visage eut l’expression
d’un enfant laid et sournois obligé de reconnaître sa faute et qui craint
d’être fouetté.
Il gémit d’une voix
pleurnicharde :
— Croyez-moi, oh,
croyez-moi ! Je n’y pouvais rien. Hitler le désirait à tout prix. Il avait
fait arrêter Venzel personnellement et c’est personnellement qu’il a donné
l’ordre de le pendre. Que pouvais-je faire ! Quand la sentence est prise
de cette façon, par le Führer lui-même, je dois venir en personne lui annoncer
qu’elle est exécutée. Croyez-moi, oh, croyez-moi,
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