Les Mains du miracle
atteignaient
souvent les camps situés autour des villes. Des milliers de Norvégiens et de
Danois risquaient d’y trouver la mort.
Tous les détails de ces entretiens,
Kersten les transmettait à Himmler par téléphone. Les liaisons étaient très
faciles. Dès son arrivée, en effet, le docteur avait mis Gunther au courant du
privilège dont Himmler l’avait muni. Et Gunther, de son côté, avait donné
l’ordre que la priorité n°1 fût garantie aux communications de Kersten avec
l’Allemagne.
Dans son appartement, le docteur
avait fait installer un appareil téléphonique avec deux écouteurs. Et pour que
rien ne fût perdu de ces conversations historiques et que même celles, toutes
familières, qu’il tenait avec Élisabeth Lube, à Hartzwalde, eussent un
témoin – Kersten avait toujours près de lui quelque personnage officiel
qui suivait les propos échangés. C’était tantôt un fonctionnaire suédois,
tantôt un représentant de la Finlande, mais le plus souvent l’emploi était
rempli par le baron Van Nagel, délégué du gouvernement hollandais en exil à
Londres.
Ces gens assistaient à un incroyable
paradoxe : un homme qui était, juridiquement, un ennemi de l’Allemagne, un
citoyen d’un pays en guerre avec elle, exerçait à sa guise le droit exclusif,
interdit à un commandant d’armée et, sauf Ribbentrop, à tous les ministres du
III e Reich, de téléphoner chaque jour, soit, pour des questions
officielles, à celui qui après Hitler était le maître de l’Allemagne, soit,
pour ses affaires privées, à la simple et courageuse femme qui s’occupait de
son domaine.
Quand Gunther eut bien défini pour
Kersten toutes les données du problème et que le docteur, à la suite de ses
entretiens téléphoniques avec Himmler, crut pouvoir se porter garant pour l’une
au moins des solutions envisagées, le gouvernement suédois se réunit et donna
pleins pouvoirs au ministre des Affaires étrangères afin d’exécuter son plan.
Ce conseil des ministres s’était
tenu dans la troisième semaine de novembre. En le quittant, Gunther demanda à
Kersten :
— Quand partez-vous ?
— Je peux prendre l’avion tout
de suite, dit le docteur. Mais j’aimerais mieux, pour que mon influence soit
décisive, attendre que Himmler ait besoin de mon traitement. D’après le temps
écoulé, cela ne tardera pas, je pense.
Le 25 novembre 1944, la
sonnerie du téléphone vibra dans l’appartement que le docteur avait à Stockholm.
L’appel venait du Q.G. de Himmler. Le Reichsführer, très souffrant, réclamait
Kersten.
Celui-ci prévint aussitôt Gunther.
Ils se virent dans la journée même. Le ministre résuma une fois de plus la
mission qu’il confiait à Kersten : obtenir la libération des internés
scandinaves ou, sinon, leur rassemblement dans un camp spécial, à l’abri des
bombardements.
Gunther y ajouta une requête de la
dernière heure. Le gouvernement hollandais réfugié à Londres avait prié la
Suède de fournir des vivres aux territoires des Pays-Bas que l’avance des
Alliés n’avait pas encore réussi à libérer. Les habitants – qui
représentaient la moitié de la population hollandaise – y mouraient
littéralement de faim. Les Suédois avaient des bateaux chargés de ravitaillement
et tout prêts à lever l’ancre. Mais les Allemands ne leur permettaient pas de
débarquer leur cargaison de salut. Gunther demandait à Kersten d’obtenir à cet
effet l’autorisation de Himmler, grand maître de tous les pays encore occupés
par les troupes nazies.
Le lendemain, laissant sa femme et
ses fils à Stockholm, Kersten prit l’avion pour Berlin.
9
Kersten vint tout d’abord pour
quelques heures à Hartzwalde. Outre Élisabeth Lube, il y trouva M me Imfeld
qui l’attendait. Cette jeune femme était venue le 13 août précédent
l’entretenir de la possibilité d’héberger en Suisse vingt mille
concentrationnaires juifs. Elle dit à Kersten :
— Himmler n’a rien fait. Par
contre, des officiers S.S. parcourent la Suisse et promettent de libérer des
Juifs à raison de cinq cents francs suisses par tête de Juif ordinaire et deux
mille pour les Juifs importants. Les autorités helvétiques sont au comble de
l’indignation, devant ce trafic éhonté de chair humaine.
Le jour suivant, Kersten arrivait au
nouveau Quartier Général que Himmler avait à l’ouest, en Forêt-Noire. Le
Reichsführer était déprimé par sa maladie, mais
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