Les Mains du miracle
pût téléphoner de l’étranger en Allemagne et
y recevoir des communications d’Allemagne – et cela sans écoute
indiscrète – une telle faveur dépassait en fantastique même le droit
d’avoir pour boîte à lettres celle du Reichsführer.
Kersten reprit son sang-froid,
s’inclina légèrement et dit :
— C’est merveilleusement
simple. Je savais bien que vos pouvoirs devaient comporter cette attribution.
— Eh bien, vous en saviez plus
que moi, dit Himmler en riant.
Le 27 septembre, c’est-à-dire à
la veille du départ de Kersten pour Stockholm, le Reichsführer déclara au
docteur, après une conversation longue et décisive :
— Je suis d’accord avec
vous : on ne doit pas se montrer trop dur envers le sang germanique. Il faut
qu’il en reste. Les Danois et les Norvégiens qui sont dans mes camps vont avoir
un traitement de faveur. Vous allez rencontrer, je le sais, les dirigeants
suédois. Quand vous reviendrez, j’agirai selon leurs désirs.
— J’ai encore une chose à vous
demander, dit Kersten. Il s’agit de mon ami, Karl Venzel. J’ai toujours votre
parole d’honneur, votre parole d’homme et de grand chef allemand qu’il aura la
vie sauve ?
— Vous l’avez, dit Himmler.
L’âme en paix, le docteur alla
boucler ses valises.
8
L’avion que prit Kersten était
tellement chargé de passagers qu’il dut partir seul. Sa femme, ses trois
garçons et la vieille nurse balte arrivèrent vingt-quatre heures après.
L’instant le plus heureux de son existence pendant la guerre fut pour Kersten
celui où il accueillit sa famille à l’aérodrome de Stockholm. Désormais, quoi
qu’il arrivât à l’Allemagne et à lui-même, Irmgard et les enfants étaient, eux
au moins, en sécurité.
Tandis que sa femme installait peu à
peu leur petit appartement avec les quelques meubles et les quelques objets
qu’il avait pu expédier, par bateau, d’Allemagne, Kersten voyait presque chaque
jour le ministre des Affaires étrangères de Suède.
Ils firent le point minutieusement.
La situation de l’Allemagne empirait chaque jour. Plus elle était désespérée et
plus le sort des prisonniers dans les camps devenait misérable et précaire.
Quand la terre commencerait à se dérober vraiment sous les pas des maîtres, que
pèseraient les existences des esclaves, des squelettes vivants ? Ils
avaient tout à craindre d’un suprême sursaut de la bête. Le temps pressait.
Dans cette course contre la mort,
Kersten avait la certitude maintenant d’avoir pour alliés fidèles,
indubitables, Brandt, Berger et Schellenberg. Les ennemis demeuraient
Ribbentrop et – plus que jamais – Kaltenbrunner qui était allé
jusqu’à une tentative d’assassinat pour arrêter les desseins du docteur. Mais
cette tentative s’était retournée contre le chef de la Gestapo – et avait
renforcé d’une façon étonnante l’influence de Kersten sur Himmler. Le docteur
avait laissé le Reichsführer dans des dispositions excellentes. La balance des
forces penchait nettement en faveur du grand projet de Gunther.
Le ministre des Affaires étrangères
se montrait beaucoup plus impatient qu’il ne l’avait été au cours des autres
séjours de Kersten à Stockholm. L’opinion de son pays, disait-il, ne pourrait
plus longtemps supporter la cruauté avec laquelle étaient traités les internés
danois et norvégiens issus du même sang que les Suédois. Les défaites de
l’Allemagne donnaient du courage aux plus neutralistes. L’exaspération
populaire pouvait aller aux conséquences extrêmes. Il fallait faire quelque
chose et rapidement. Gunther demandait à Himmler de choisir entre deux
décisions.
La plus favorable était,
naturellement, de libérer en bloc les internés scandinaves. La Suède se
chargeait de leur transport et de leur hébergement sous surveillance de la
Croix-Rouge internationale. Elle s’engageait à faire de même pour tous les
autres prisonniers, les Hollandais notamment, dont Kersten réussirait à obtenir
la mise en liberté.
L’autre mesure – de repli pour
ainsi dire – consistait, dans le cas où le Reichsführer ne voudrait pas ou
ne pourrait pas laisser partir les captifs scandinaves, de les regrouper tous
ensemble et de les réunir en un seul camp spécial placé sous la sauvegarde de
la Croix-Rouge. Ce rassemblement était d’une grande urgence. Les bombardements
alliés devenaient toujours plus nombreux et plus serrés. Ils
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