Les Mains du miracle
se rendre à Berlin pour
discuter les détails techniques. Il serait essentiel qu’il puisse le faire avec
le Reichsführer personnellement. Et aussi qu’il reçoive un accueil amical des
chefs de la Gestapo. Voulez-vous annoncer Bernadotte à Himmler ?
Kersten demanda au baron Van Nagel
de servir de témoin à sa conversation, lui passa l’un des
écouteurs du téléphone et appela le Reichsführer à son Q.G. Himmler n’y était
pas. Le docteur alors parla à Brandt. Celui-ci se montra heureux d’apprendre
que le convoi suédois se formait et que le dessein pour lequel il aidait
Kersten depuis si longtemps allait enfin aboutir. Il promit de transmettre et
d’appuyer de toutes ses forces la requête du docteur.
Le même soir, Brandt téléphonait à
Kersten :
— Himmler est prêt à recevoir
amicalement Bernadotte et vous prie de l’assurer qu’il tiendra tous les accords
qu’il a passés avec vous.
Le 19 février, Bernadotte prit
l’avion pour Berlin. Selon le protocole et les règles hiérarchiques,
l’ambassadeur suédois en Allemagne l’annonça à Kaltenbrunner qui l’annonça à
Himmler.
Le vice-président de la Croix-Rouge
conféra deux heures avec le Reichsführer en présence de Schellenberg. À l’issue
de cet entretien, Himmler confirma à Bernadotte ce qu’il avait promis à
Kersten.
Les internés scandinaves seraient
rassemblés dans un seul camp, celui de Neuengamme.
Les prisonniers qui avaient été
libérés pour faire plaisir à Kersten, la Suède pouvait les recueillir
immédiatement.
12
Depuis l’exécution de Venzel, Himmler
était fidèle à sa parole. Il alla jusqu’à tenir l’une de ses promesses en
l’absence de Kersten, et sans la moindre pression de la part du docteur, et
même sans qu’il le sût.
Dans le courant de ce mois de
février que Kersten passait à Stockholm en négociations, deux mille sept cents
Juifs, internés jusque-là au camp de triage de Theresienstadt, avaient été
désignés pour aller dans un camp de mort, où les attendaient les chambres à gaz
et les fours crématoires. Deux trains furent chargés de ces malheureux et amenés
sur une voie de garage, prêts à partir.
Le chef du convoi en avertit le Q.G.
de Himmler et demanda l’ordre de mettre les trains en marche. Ce fut Brandt qui
reçut la communication. Il passa dans le bureau du Reichsführer et la transmit.
— Deux mille sept cents,
dites-vous ? demanda Himmler.
Il fronça légèrement les sourcils.
Le chiffre lui rappelait quelque chose. Soudain, il s’écria :
— Deux mille sept cents, voilà
qui tombe à merveille. J’ai promis à Kersten de libérer deux à trois mille
Juifs que les Suisses sont prêts à recevoir. Faites donc aiguiller ces trains
non pas vers l’est, mais vers la frontière suisse. Prévenez immédiatement les
autorités helvétiques, la Gestapo, les chemins de fer et nos gardes-frontières.
Himmler hocha la tête et ajouta ravi :
— Deux mille sept cents,
hein ? On croirait que c’est fait exprès. Ni trop, ni trop peu.
Il eut un sourire à demi
sarcastique, à demi attendri et dit encore :
— Juste de quoi satisfaire une
des lubies de ce bon docteur.
Une heure plus tard, les deux trains
s’ébranlaient où hommes, enfants, femmes étaient entassés jusqu’à
l’étouffement. Les cahots les jetaient les uns contre les autres, comme des
bêtes parquées à l’étroit. La faim au ventre, la gorge desséchée de soif, les
poumons à la torture par manque d’air, la chair glacée sous leurs haillons, ils commencèrent un voyage de suppliciés. Pourtant ils
redoutaient d’en voir le terme. Ils savaient que la mort les y attendait, la
mort qui portait l’uniforme des S.S. Ils roulaient hâves, sales, glacés, malades,
l’épouvante dans l’âme. Quand ils eurent traversé toute l’Allemagne, il restait
à peine assez de force aux mères pour plaindre leurs enfants.
Et voilà que le train ralentit et
s’arrête. Et que les wagons à bestiaux s’ouvrent. Et voilà les S.S. Ils sont
là. Toute une compagnie.
Mais pourquoi, au lieu de se jeter
sur les victimes qui débarquent en trébuchant et au lieu de les chasser à coups
de crosse vers les chambres à gaz, pourquoi les saluent-ils, pourquoi
présentent-ils les armes ? Et que signifie tout le reste… ? Cette
folie bienheureuse, ce rêve étoilé… !
Les deux mille sept cents Juifs,
hommes, femmes, enfants, les deux mille sept cents squelettes en
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