Les Mains du miracle
guenilles
défilent devant les S.S. au garde-à-vous, traversent la frontière et, à la
place des bourreaux qu’ils s’attendaient à voir, trouvent les infirmières de la
Croix-Rouge suisse qui les accueillent avec des sourires et des larmes de
bienvenue.
13
Cet épisode, les milieux israélites
de Stockholm n’en savaient rien au moment où il eut lieu. Kersten (il ne
l’apprit que le mois suivant par une lettre de Himmler) partageait leur
ignorance. Mais à ce moment même, par une sorte de complicité du hasard, les
organisations juives approchèrent pour la première fois le docteur.
Elles le firent par le truchement de
M. von Knierin, Balte émigré de Russie, banquier de profession et ami de
Kersten. Vers la mi-février, il rendit visite au docteur et lui demanda de
recevoir Hillel Storch, représentant à Stockholm du Congrès Juif Mondial.
Kersten donna rendez-vous aux deux hommes pour le soir même. Hillel Storch dit
en substance :
— La situation des Juifs
internés en Allemagne est épouvantable, sans espoir. Les derniers vont être
exterminés. Nous avons tout essayé, mais en vain. Nous connaissons votre
travail de solidarité humaine et les résultats que vous avez obtenus.
Aidez-nous !
— Donnez-moi un mémorandum sur
ce que voudrait le Congrès Mondial Juif, dit Kersten. Je m’en servirai dès mon
retour en Allemagne.
Ce retour, le docteur n’en savait
pas encore la date. Elle dépendait de Gunther. Et Gunther avait besoin de lui à
Stockholm, car tous les détails pour l’organisation des secours s’élaboraient
dans la capitale suédoise et Kersten était le seul à pouvoir les communiquer
par fil direct à Himmler et aplanir ainsi les difficultés.
Mais le 25 février 1945,
le ministre des Affaires étrangères apprit, par l’intermédiaire des Américains,
une nouvelle terrible : Hitler avait donné l’ordre formel à Himmler de
faire sauter à la dynamite, avec tous les prisonniers qu’ils contenaient, les
camps de concentration, dès que les troupes ennemies s’en seraient approchées à
huit kilomètres.
— Et il reste encore huit cent
mille internés dans les camps au pouvoir des nazis, dit Gunther à Kersten. Et
les Alliés n’en sont plus très loin.
Il fit un effort pour maîtriser ses
sentiments et poursuivit rapidement l’exposé de la situation :
Les Américains demandaient aux
Suédois de faire tout ce qui était en leur pouvoir afin d’empêcher cette
suprême horreur. Mais le gouvernement dont Gunther faisait partie savait très
bien qu’il ne possédait aucun moyen de pression sur Hitler, ce fou enragé. Et
les ministres suédois étaient pris d’épouvante à la pensée du massacre immense
qui semblait inévitable. Seul, Kersten avait, peut-être, par Himmler, quelque
chance de l’arrêter. Une chance sur mille, assurément. Mais il fallait la
tenter. Il fallait partir pour l’Allemagne dans la semaine qui venait.
Kersten accepta. Gunther, alors, le
chargea d’une triple mission officielle :
1°Essayer d’empêcher le dynamitage
des camps de concentration ;
2°Réduire les difficultés que
Kaltenbrunner, malgré les assurances renouvelées de Himmler, faisait à
Bernadotte pour le rassemblement et l’évacuation des prisonniers
scandinaves ;
3°Conseiller à Himmler la
capitulation des troupes allemandes en Norvège, intactes et bien armées, car
les Alliés faisaient une forte pression sur la Suède pour qu’elle entrât en
guerre contre cette armée encore redoutable.
Le départ de Kersten fut décidé pour
le 3 mars.
La veille, Gunther lui remit un
document officiel du gouvernement qui définissait la mission dont il était
chargé et le reconnaissait comme délégué pour cette mission.
Le 3 mars au matin, Kersten en
était à ses derniers préparatifs de départ, quand Hillel Storch, essoufflé,
entra chez lui. Il agitait un télégramme envoyé de New York par le président du
Congrès Juif Mondial. Le câble annonçait que les Allemands s’apprêtaient à
faire sauter d’un jour à l’autre les camps où la majorité des captifs était
juive.
— Au nom du Congrès, je vous en
supplie, intervenez, dit Storch.
Quand Kersten s’envola, son
principal bagage consistait en une énorme serviette, toute bourrée de papiers.
Il était en fait ambassadeur privé du Gouvernement suédois et du Congrès
Mondial Juif.
14
En Allemagne, l’étau se resserrait
terriblement. Ce n’était plus à Jitomir, au cœur
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