Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
Vom Netzwerk:
docteur qu’une vague curiosité.
    « Comment va se passer cette
entrevue ? » pensait-il.
    À la suite de l’officier qui le guidait,
Kersten gravit un escalier de marbre monumental, puis un autre. On le fit alors
entrer dans une salle d’attente. Il eut à peine le temps de penser avec une
sorte d’amusement philosophique : « Voilà où le docteur Kô m’a
conduit », qu’un autre officier, qui portait les insignes d’aide de camp,
vint le chercher. Ils s’engagèrent dans un couloir… Mais, arrivé au milieu,
l’officier arrêta le visiteur d’un geste à peine ébauché et pour un instant à
peine perceptible. Cela suffit à l’appareil de rayons X dissimulé dans le
mur à cet endroit pour déceler que le nouvel arrivant n’avait pas d’armes sur
lui.
    Après quoi, l’aide de camp mena
Kersten, qui n’avait rien remarqué, vers la porte à laquelle aboutissait le
couloir. Il éleva la main pour frapper contre le bois sombre. Mais, avant qu’il
eût achevé son geste, la porte s’ouvrit d’un coup et un homme en uniforme de
général S.S. apparut dans l’embrasure. Il était petit, étroit d’épaules. Des
lunettes à monture d’acier couvraient ses yeux d’un gris foncé. Il avait des
pommettes saillantes, mongoles. C’était Himmler.
    Son visage, profondément creusé,
avait un teint de cire et son corps chétif était crispé de convulsions qu’il ne
parvenait pas à maîtriser. Il saisit d’une main moite, mince et osseuse,
quoique assez belle, la main puissante et charnue de Kersten. Et il dit d’un
trait, en l’attirant à l’intérieur de la pièce :
    — Merci d’être venu, docteur.
J’ai beaucoup entendu parler de vous. Peut-être soulagerez-vous les douleurs
atroces d’estomac qui m’empêchent aussi bien de rester assis que de marcher.
    Himmler lâcha la main de Kersten.
Son visage ingrat devint encore plus cireux. Il reprit :
    — Pas un seul médecin
d’Allemagne n’a réussi. Mais M. Rosterg et M. Diehn m’ont assuré que
là où les autres échouent, vous obtenez des résultats.
    Sans répondre, les bras ballants,
Kersten étudiait les pommettes mongoloïdes, les cheveux pauvres, le menton
fuyant.
    « Voilà donc, se dit-il, la
tête qui conçoit, organise, met au point et en œuvre les mesures qui sont un
sujet de terreur pour les Allemands et d’horreur pour tous les hommes
civilisés…»
    Mais Himmler parlait de nouveau.
    — Docteur, croyez-vous pouvoir
m’aider ? dit-il. Je vous en aurai une reconnaissance infinie.
    Dans ces joues livides et flasques,
au fond des yeux gris sombre, Kersten retrouva l’appel, qu’il connaissait si
bien, de la chair misérable. Himmler ne fut plus pour lui qu’un malade comme il
en avait tant.
    Kersten fit du regard le tour de la
pièce. Elle était meublée sobrement : un grand bureau couvert de papiers, quelques
sièges, un divan très long.
    — Voulez-vous enlever votre
vareuse, votre chemise et déboutonner le haut de votre pantalon,
Reichsführer ? dit Kersten.
    — Tout de suite, docteur, tout
de suite, s’écria Himmler avec empressement.
    Il se dénuda jusqu’à la
ceinture : il avait des épaules tombantes, plus étroites que le torse, la
peau molle, les muscles pauvres et l’estomac proéminent.
    — Étendez-vous bien à plat, sur
le dos, Reichsführer, dit Kersten.
    Himmler se coucha. Kersten approcha
un fauteuil du divan et s’assit commodément. Ses mains se portèrent sur le
corps allongé.
     

5
    Si je suis en mesure de me
représenter et de suivre cette scène avec le sentiment d’y avoir assisté, la
raison en est simple : une fatigue générale m’a fait recourir aux soins du
docteur Kersten, et, pendant deux semaines, chaque jour, soumis à ses doigts
qui travaillaient et revivifiaient mes nerfs déficients, je l’ai observé avec
toute l’attention dont je suis capable.
    Une fois, je lui ai demandé :
    — Quand vous traitiez Himmler,
aviez-vous la même méthode, le même comportement, les mêmes attitudes ?
    Il m’a regardé avec surprise et
répondu :
    — Bien sûr… exactement… comme
avec tous mes malades.
    Sans doute, Kersten, alors, avait
vingt années de moins.
    Mais il appartient à cette catégorie
d’hommes qui, par la structure et l’expression essentielles des traits, par la
tenue du corps, demeurent, malgré les marques du temps, fidèles à leur image
plus jeune. Je n’avais qu’à dépouiller sa figure – et cela était
facile – de

Weitere Kostenlose Bücher