Les Mains du miracle
respecté. À Helsinki, l’un des plus grands spécialistes était alors le
docteur Kollander. Il venait à l’hôpital militaire traiter les cas difficiles.
Il y connut Kersten et, voyant ses dons, le prit pour élève.
Les deux années qui suivirent furent
matériellement difficiles pour le jeune homme. Il ne manquait pas un cours, pas
un exercice pratique, et, en même temps, pour assurer sa subsistance,
travaillait comme docker au port d’Helsinki, comme serveur ou plongeur dans les
restaurants. Mais il avait une forte santé et un appétit féroce qui
s’accommodaient de tout. Là où un autre eût maigri, il prit de l’embonpoint.
En 1921, il obtint son diplôme de
massage scientifique. Son professeur lui dit alors :
— Vous devriez aller en
Allemagne, continuer vos études.
Kersten trouva bon le conseil. Peu
de temps après, il arriva à Berlin sans aucune ressource.
6
La question du logement fut la plus
aisée à résoudre. Les parents de Kersten avaient, dans la capitale allemande,
une vieille amie : la veuve du professeur Lube, qui vivait avec sa fille Élisabeth.
La famille Lube n’était pas riche, mais d’une éducation stricte et d’une
culture vaste. Elle donna volontiers abri à l’étudiant démuni de tout. Pour les
autres besoins essentiels, nourriture, vêtements, inscriptions à l’université,
Kersten s’arrangea, comme il l’avait fait à Helsinki, par l’exercice de menus
métiers qui s’offraient à lui. Il fut plongeur, figurant de cinéma et parfois,
recommandé par la Légation finnoise, interprète pour des commerçants et
industriels finlandais qui, de passage à Berlin pour affaires, ignoraient la
langue allemande. Il y avait de bonnes semaines et il y en avait de très
mauvaises. Kersten ne mangeait pas toujours à sa faim, qui était dévorante. Ses
vêtements laissaient à désirer. Ses semelles, souvent, bâillaient. Mais il
prenait sa pauvreté en patience. Il était jeune, fort, d’une résistance à toute
épreuve, d’un caractère équilibré et optimiste.
Enfin, pour l’appuyer dans les
instants les plus pénibles, il avait trouvé au foyer même qui l’abritait une
alliée merveilleuse : Élisabeth Lube, la fille cadette de la maison, mais
sensiblement plus âgée que lui.
Leur amitié eut le caractère le plus
immédiat et le plus naturel. Élisabeth Lube était très bonne, très intelligente
et très active. Elle avait besoin de mettre en œuvre ses forces intérieures. À
cet égard, le grand jeune homme courageux, sain, gai et si pauvre qui débarqua
un matin chez sa mère semblait vraiment envoyé par le sort. Et lui, voué une
fois de plus à refaire sa vie dans une ville inconnue, sans argent ni famille,
comment aurait-il pu répondre à ce dévouement efficace et sûr autrement que par
toute sa reconnaissance et toute son affection ?
D’ailleurs, Kersten avait le goût le
plus vif pour l’amitié féminine. Il voyait dans les jeunes filles et les jeunes
femmes qui lui plaisaient les créatures mêmes dont les romantiques allemands et
russes, qu’il avait lus avec ferveur, ont peuplé leurs ouvrages. Elles étaient
des anges. Elles étaient des chimères poétiques. Il les traitait avec une
galanterie désuète et des attentions exaltées. Ce comportement, peut-être, ne
convenait pas tout à fait à son teint florissant, à son embonpoint précoce, à
la placidité de son visage. Mais jeunes femmes et jeunes filles s’en montraient
ravies. Son succès était vif. N’en usait-il que platoniquement ? On aurait
peine à le croire… La gourmandise n’était pas chez lui la seule forme de
sensualité.
Mais avec Élisabeth Lube ses
rapports ne sortirent jamais du domaine de l’amitié nette et pure. Il est
possible que cette réserve vînt de la différence d’âge qui les séparait, mais
il semble davantage que sa cause profonde était dans un instinct de sagesse
également partagé. Élisabeth Lube et Félix Kersten savaient leur affection si
rare et si précieuse qu’ils la mirent, par une sorte de réflexe, à l’abri des
risques et des troubles dont l’eût menacée un sentiment d’une autre nature. Ils
ne s’étaient pas trompés. Leur alliance dure jusqu’à ce jour, soit depuis près
de quarante ans. Les péripéties d’une vie entière, les changements de fortune,
de résidence, de condition familiale, la tragédie de l’Europe et cinq années
terribles pour Kersten n’ont fait que renforcer la valeur et la
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