Les Mains du miracle
beauté d’un
lien tout spirituel, noué en 1922, entre la fille d’une bonne famille
bourgeoise et un jeune étudiant très pauvre.
Cela se fit sans propos ni gestes
exaltés. Tranquillement, petitement, quotidiennement. Élisabeth Lube reprisa,
lava, repassa le linge et les vêtements de Kersten. Et quand vint le jour où le
jeune homme eut un besoin désespéré de chaussures neuves, Élisabeth Lube vendit
en cachette (il ne le sut que beaucoup plus tard) l’unique et minuscule diamant
qu’elle tenait d’un héritage. Pendant qu’elle raccommodait et ravaudait,
Kersten lui confiait ses projets, ses espoirs ou étudiait près d’elle avec
acharnement. Elle était pour lui, disait-il, une grande sœur et une mère à la
fois.
7
Le professeur Bier, chirurgien de
réputation mondiale, enseignait alors à Berlin. Ce maître illustre, chargé de
tous les honneurs officiels, s’informait pourtant avec passion des techniques
médicales que la Faculté tenait alors pour peu orthodoxes : chiropraxie,
homéopathie, acupuncture et, tout spécialement, massage.
Quand le professeur Bier sut que
l’un de ses élèves était confirmé dans le massage finnois, il le distingua,
l’admit dans sa familiarité et, un jour, lui dit :
— Venez dîner à la maison, ce
soir. Je vous ferai connaître quelqu’un qui vous intéressera.
Quand Kersten pénétra dans les
grandes pièces brillamment éclairées, il aperçut auprès de son maître un vieux
petit monsieur chinois, dont le visage tout haché de menues rides n’arrêtait
pas de sourire au-dessus d’une barbe rare, rêche et grise.
— Voici le docteur Kô, dit à
Kersten le professeur Bier.
La voix du grand chirurgien avait
eu, pour prononcer ce nom, un accent qui surprit Kersten par sa déférence, sa
révérence. Le docteur Kô ne fit rien, ne dit rien, au début tout au moins, qui
pût justifier cette intonation. Le professeur Bier mena presque entièrement l’entretien.
Le frêle vieillard chinois se bornait à hocher la tête par brèves et rapides
secousses de politesse et à sourire sans fin. De temps à autre, les petits yeux
noirs, agiles, mobiles et brillants à l’extrême arrêtaient, pour un instant,
leur va-et-vient dans la fente des paupières bridées pour considérer Kersten
avec une intensité singulière. Après quoi, rides, sourires et prunelles
reprenaient leur jeu aimable et vif.
Soudain, du ton le plus uni, le
docteur Kô conta son histoire au jeune homme.
Il était né en Chine, mais avait
grandi dans l’enceinte d’un monastère au nord-est du Tibet, il s’y était initié
dès l’enfance, non seulement aux préceptes et aux traditions de la plus haute
sagesse, mais encore aux sciences de guérison chinoise et tibétaine telles que
les lamas-médecins les transmettaient d’âge en âge. En particulier, à l’art
millénaire et subtil des masseurs. Lorsqu’il eut consacré vingt ans à ces
études, le supérieur du monastère l’appela :
— Nous n’avons plus rien à
t’enseigner de ce côté du monde, lui dit-il. Tu vas recevoir l’argent
nécessaire pour vivre en Occident afin de t’instruire auprès des savants,
là-bas.
Le lama-médecin gagna la
Grande-Bretagne, s’inscrivit dans une Faculté, y passa le temps qu’il fallait
pour obtenir le diplôme de docteur. Puis il commença d’exercer à Londres.
— J’ai traité mes malades par
le massage tel qu’on l’enseigne là-haut, dans nos monastères tibétains, dit le
docteur Kô. Ce n’est pas l’orgueil qui m’inspirait. Un lama, dans son
initiation, se dépouille de toutes les vanités. Je pensais simplement que, dans
la science d’Occident, je n’étais qu’un novice dépassé par tant et tant de
docteurs excellents. Tandis que, seul, je possédais ici les moyens de guérir
qui se pratiquent en Chine depuis la nuit des temps.
— Et le docteur Kô a fait des
merveilles, dit le professeur Bier. Et ses confrères, naturellement,
l’appelaient rebouteux. Alors je lui ai écrit et il a bien voulu nous faire
l’honneur de venir travailler à Berlin sous ma garantie absolue.
Ces paroles firent une impression
profonde sur Kersten. Un maître éminent entre tous, armé de la plus haute
culture scientifique, montrait une confiance entière à ce petit magot jaune et
ridé venu du Toit du Monde !
— J’ai parlé au docteur Kô de
vos études en Finlande, reprit le professeur. Il a désiré vous connaître.
Le docteur Kô se leva,
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