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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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la Russie
de son enfance une tendresse secrète et nostalgique.
    Il lui répugnait de se battre contre
elle dans une armée et pour une cause qu’il n’aimait pas. Il finit par trouver
un moyen terme, un accommodement.
    Chacun des grands conflits qui a
remis en cause les structures de l’Europe a donné aux petites nations,
absorbées par des Empires massifs, l’espoir et parfois le moyen de la liberté. Pour
la conquérir, elles ont toujours aidé le camp qui menaçait leur maître. Ainsi,
dans la première guerre mondiale, les Tchèques opprimés par l’Autriche
désertaient pour combattre aux côtés des Russes. Ainsi, les Finlandais
formaient en Allemagne une légion pour se débarrasser de la domination des
Russes. Félix Kersten s’enrôla parmi eux.
    Entre-temps, la révolution russe
avait éclaté. L’armée du Tzar n’existait plus. Les Pays Baltes, eux aussi,
avaient pris les armes pour leur indépendance. Une colonne finnoise vint au
secours des Estoniens. Félix Kersten, qui était devenu officier finlandais, en
faisait partie. Il alla, ainsi, jusqu’à Yourieff, sa ville natale, qui,
libérée, avait repris le vieux nom de Dorpat. Il eut la joie d’y retrouver, en
1919, ses parents, rapatriés des bords de la Mer Caspienne, après la paix de
Brest-Litowsk.
    Sa mère avait gardé sa fraîcheur
d’âme et sa bonté. Son père, bien qu’il approchât de soixante-dix ans, était
toujours aussi robuste et ardent au travail. Il acceptait avec philosophie la
réforme agraire au profit des paysans, qui avait été l’une des premières
mesures du nouveau gouvernement d’Estonie. Elle lui enlevait pourtant la
plupart de ses biens.
    — Une terre est toujours assez
grande pour occuper les mains d’un seul homme, dit-il en souriant à son fils,
au moment où celui-ci le quittait pour suivre son régiment qui continuait à
refouler les gardes rouges.
    Félix Kersten eut à passer tout
l’hiver, sans abri, dans des marécages. Il y contracta des rhumatismes qui
paralysèrent ses jambes et fut obligé de partir sur des béquilles pour
l’hôpital militaire d’Helsinki.
     

5
    Tout en suivant sa cure, Kersten
songeait à l’avenir. Il pouvait rester dans l’armée finlandaise. Il appartenait
au meilleur régiment de la garde. Mais rien ne lui plaisait de la vie
militaire. Son savoir d’agronome ? Il ne possédait plus de terres où
l’appliquer et il ne voulait pas travailler chez les autres.
    Après avoir beaucoup réfléchi,
Kersten choisit de se faire chirurgien. Il confia ce projet au médecin-chef de
l’hôpital, le major Ekman. Ce dernier s’était pris d’amitié pour le jeune
officier courtois, d’humeur égale et d’une singulière maturité.
    — Écoutez-moi, mon petit, lui
dit-il, je suis chirurgien moi-même et je peux vous assurer que les études sont
très longues et très difficiles, surtout pour un garçon comme vous, sans
ressources, qui a besoin de gagner sa vie tout de suite.
    Le vieux médecin prit le poignet de
Kersten et poursuivit :
    — À votre place, j’essaierais
de me consacrer au massage scientifique.
    — Massage ! mais
pourquoi ? s’écria Kersten.
    Le major Ekman fit tourner le
poignet, montra la paume charnue et forte, les doigts larges et courts.
    — Cette main, dit le major, est
parfaite pour le massage et beaucoup moins indiquée pour la chirurgie.
    — Le massage…, répéta Kersten à
mi-voix…
    Il se souvenait comment, dans son
enfance, les paysans, les ouvriers des environs venaient trouver sa mère pour
qu’elle guérît, de ses doigts agiles, foulures, arrachements musculaires et
même fractures légères. Déjà la mère de sa mère avait eu le même pouvoir. Il le
dit au médecin-chef.
    — Vous voyez bien ! C’est
un don de famille, dit le major Ekman. Prenez vos béquilles et suivez-moi à la
polyclinique ; vous y prendrez vos premières leçons sur le vif.
    À partir de ce jour, les masseurs
attachés à l’hôpital, qui traitaient les soldats blessés, commencèrent à
instruire Kersten. Et un mois ne s’était pas écoulé que les soldats
préféraient, à tous les professionnels, le sous-lieutenant étudiant. Et lui, il
découvrait, avec un étonnement presque craintif, avec un étrange bonheur, le
pouvoir qu’avaient ses mains de rendre au corps souffrant des hommes la
souplesse, la paix, la santé.
    Le massage, dans les contrées du
nord et surtout au pays finnois, est une science très vieille, un art profond
et

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