Les murailles de feu
Léonidas, où le roi se tenait sans doute éveillé et peut-être en quête de compagnie.
Dans ce territoire étroit, le camp était endormi. La lune croissante éclairait le défilé. Il faisait anormalement froid pour l’été, et plus encore à cause des récents orages et du voisinage de la mer. On entendait clairement les vagues sur les brisants, à l’aplomb des falaises. Je jetai un regard à Alexandros, qui avait posé sa tête sur son bouclier, à côté de Suicide, qui ronflait. Les feux avaient baissé. Dans tout le camp, les formes endormies des soldats n’étaient plus que des tas de capes et de manteaux qui ressemblaient plus à du linge sale qu’à des hommes.
Vers la Porte du Milieu, j’aperçus les bâtiments des bains. C’étaient de jolies baraques en bois dégrossi, dont les seuils pavés avaient été polis depuis des siècles par les pieds des baigneurs et des visiteurs. Les chemins huilés serpentaient gracieusement sous les chênes, éclairés par les lampes en bois d’olivier de l’établissement. Une plaque de bois brunie pendait sous chacune de ces lampes, offrant quelques vers gravés. Je me souviens de l’une d’elles :
De même que l’âme naissante
se glisse dans le corps liquide,
entre donc, ami, dans ces bains,
et laisse l’âme couler dans la chair,
toutes deux divinement unies.
Je me rappelle aussi ce que m’avait dit mon maître sur les champs de bataille. C’était à Tritées, quand nous avions affronté les Achéens dans un champ d’orge verte. Le massacre avait culminé devant un temple où, en temps de paix, les gens dérangés et possédés par les dieux étaient envoyés par les familles, pour prier Déméter la Miséricordieuse et Perséphone et leur faire des sacrifices :
« Aucun arpenteur n’a jamais délimité un lopin et déclaré : “Ici, nous aurons une bataille.” Le terrain est souvent consacré à des buts pacifiques et, plus souvent encore, à des œuvres de secours et, de compassion. L’ironie peut être parfois assez lourde. »
Et cependant, il y avait dans la montagneuse et géographiquement hostile Hellade des parages qui étaient vraiment favorables à la guerre, Oenophyta, Tanagra, Coronée, Marathon, Chéronée, Leuctres ; c’étaient des plaines et des défilés qui depuis des générations avaient servi de lieux de combat aux armées. Le défilé des Thermopyles était un site semblable. On s’était battu dans ces passages abrupts depuis les temps de Jason et d’Héraklès. Des tribus des collines en avaient décousu là, des clans de sauvages, des pillards venus par la mer, des hordes nomades, des barbares et des envahisseurs, les uns pour de l’eau, les autres pour du sang.
Le Mur Phocidien avait été achevé. Une extrémité touchait à la falaise, flanquée d’une tour trapue jouxtant la pierre et l’autre faisait un angle vers la colline, jusqu’aux falaises et à la mer. Large à sa base de deux longueurs de lance, il était deux fois haut comme un homme. Du côté ennemi, la paroi n’en était pas entièrement verticale, comme celle d’une fortification de cité, mais délibérément pentue jusqu’aux redents du sommet. Là, sur quatre pieds de haut, le mur se dressait alors droit comme une forteresse, afin de permettre aux combattants alliés de pouvoir se replier rapidement vers l’arrière en cas de besoin ; ainsi, ils ne se retrouveraient pas le dos au mur, écrasés contre leurs propres fortifications. Du côté des défenseurs, des marches permettaient d’accéder au sommet ; là se dressait une forte palissade de bois ; elle était couverte de peaux que les sentinelles pouvaient laisser flotter, afin que les flèches d’étoupe ennemies ne pussent pas y mettre le feu.
La maçonnerie était rudimentaire, mais solide. Des tours coiffaient les redents, à gauche, au milieu et à droite. Ces points forts avaient été bâtis sur l’ancien mur, puis renforcés par des remblais de rochers entassés au-dessus d’une hauteur d’homme ; s’il le fallait, on les basculerait pour combler des brèches dans les redents. Les sentinelles arpentaient déjà le mur et trois pelotons, deux arcadiens et un Spartiate, avaient pris position dans les redents.
Léonidas était réveillé, en effet. On reconnaissait aisément sa chevelure couleur d’acier à la lueur du feu réservé aux commandants. Dienekès était à ses côtés ; parmi d’autres officiers je reconnus Dithyrambe, le capitaine
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