Les murailles de feu
thespien, Léontiade, le commandant thébain, Polynice, les frères Alphée et Maron et plusieurs chevaliers spartiates.
Le ciel s’éclaircissait. Des formes remuèrent près de moi. Déjà levés, Alexandros et Ariston vinrent me rejoindre. Tout comme moi, ces jeunes guerriers étaient fascinés par les officiers et les champions autour du roi. Les vétérans, tout le monde le savait, donneraient l’exemple.
— Comment nous comporterons-nous ? demanda Alexandros, exprimant tout haut l’anxiété qui hantait ses jeunes camarades. Trouverons-nous la réponse à la question de Dienekès ? Découvrirons-nous ce qu’est le contraire de la peur ?
Trois jours avant de quitter Sparte, mon maître avait rassemblé les guerriers et les servants de son peloton et organisé une chasse. C’était là une forme d’adieu, non pas à nous-mêmes, mais aux collines du pays natal. Personne ne parla des Portes ni des épreuves à venir. Ce fut une fière partie ; les dieux nous prodiguèrent plusieurs belles pièces, dont un magnifique sanglier abattu en pleine charge à la javeline et à la pique de pied par Suicide et Ariston.
Il y avait là une douzaine de chasseurs et deux fois autant de servants et d’hilotes qui servaient de rabatteurs. Au coucher du soleil, et de belle humeur, cette compagnie bâtit plusieurs feux dans les collines au-dessus de Therai. Phobos, hélas, s’y installa aussi bien. Tandis que les autres chasseurs festoyaient autour de leurs feux, Dienekès fit place à ses côtés à Alexandros et Ariston et les pria de s’asseoir. Je devinai son intention. Il allait leur parler de la peur. Car il savait qu’en dépit de leur réserve, ces jeunes gens sans expérience de la bataille se rongeaient à la perspective des épreuves prochaines.
— Toute ma vie, commença-t-il, une question m’a hanté : quel est le contraire de la peur ?
La viande de sanglier était prête, nous mourions de faim et l’on nous apporta nos portions. Suicide vint, portant des bols pour Dienekès, Alexandros, Ariston, lui-même, le servant d’Ariston, Démade et moi. Il s’assit par terre, près de Dienekès. Deux chiens, qui connaissaient sa générosité notoire à leur égard, prirent place de part et d’autre de Suicide, attendant des reliefs.
— Lui donner le nom de manque de peur, aphobie, n’a pas de sens. Ce ne serait là qu’un mot, une thèse exprimée comme antithèse. Je veux savoir quel est vraiment le contraire de la peur, comme le jour est le contraire de la nuit et le ciel est l’opposé de la terre.
— Donc tu voudrais que ce fût un terme positif, dit Ariston.
— Exactement ! Dienekès hocha la tête et dévisagea les deux jeunes gens.
L’écoutaient-ils ? Se souciaient-ils de ce qu’il disait ? S’intéressaient-ils vraiment comme lui à ce sujet ?
— Comment surmonte-t-on la peur de la mort, la plus élémentaire des peurs, celle qui circule dans notre sang comme dans tout être vivant, homme ou bête ?
Il montra les chiens qui encadraient Suicide.
— Les chiens en meute ont le courage d’attaquer un lion. Chaque animal connaît sa place. Il craint l’animal qui lui est supérieur et se fait craindre de son inférieur. C’est ainsi que nous, Spartiates, tenons en échec la peur de la mort : par la peur plus grande du déshonneur. Et de l’exclusion de la meute.
Suicide jeta deux morceaux aux chiens. Leurs mâchoires happèrent promptement la viande dans l’herbe, le plus fort des deux s’assurant le plus gros morceau. Dienekès eut un sourire sarcastique.
— Mais est-ce là du courage ? La peur du déshonneur n’est-elle pas essentiellement l’expression de la peur ?
Alexandros lui demanda ce qu’il cherchait.
— Quelque chose de plus noble. Une forme plus élevée du mystère. Pure. Infaillible.
Il déclara que pour toutes les autres questions, l’on pouvait interroger les dieux.
— Mais pas en matière de courage. Qu’est-ce qu’ils nous apprendraient ? Ils ne peuvent pas mourir. Leurs âmes ne sont pas, comme les nôtres, enfermées dans ceci, dit-il en indiquant son corps. L’atelier de la peur.
» Vous autres, les jeunes, reprit-il, vous vous imaginez qu’avec leur longue expérience de la guerre, les vétérans ont dominé la peur. Mais nous la ressentons aussi fortement que vous. Plus fortement, même, parce que nous en avons une expérience plus intime. Nous vivons avec la peur vingt-quatre heures par jour, dans nos tendons
Weitere Kostenlose Bücher