Les murailles de feu
relayaient aux hommes.
Léonidas, qui se trouvait encore plus en avant qu’Olympias, surveillait le corps à corps qui se déroulait devant, près du goulet, dans des nuages de poussière. Le vacarme avait encore augmenté. Les chocs des épées et des lances sur les boucliers, le tintement du métal sur les boucliers de bronze, pareil à un son de cloche, les cris, le fracas des lances qui se cassaient en deux sous les impacts, tout cela se réverbérait sur le mur de la montagne comme le bruit d’un théâtre de mort. Léonidas, portant toujours sa guirlande de lauriers et le casque rejeté en arrière, se retourna et fit signe au polémarque.
— Boucliers au repos ! tonna la voix d’Olympias.
Tout le long de la ligne Spartiate, les boucliers furent mis en position de repos, un bord en terre et l’autre contre la cuisse, avec la brassière et la poignée prêtes à être reprises immédiatement. Tous les casques furent relevés et les visages des hommes réapparurent. Près de Dienekès, son capitaine de huit hommes, Bias, sautait comme une puce :
— C’est ça, c’est ça, c’est ça.
— Repos.
Dienekès avança pour que ses hommes pussent le voir.
— Posez les plats à fromage !
Il voulait parler des boucliers.
Au troisième rang, Ariston, agité, tenait toujours son bouclier haut. Dienekès se pencha et lui administra un coup du plat de son pique-lézard.
— Tu fais le faraud ?
Le jeune homme sursauta, clignant des yeux comme un gamin réveillé d’un cauchemar. Pendant un bon moment, on put voir qu’il ne savait pas qui était Dienekès, ni ce qu’il lui voulait. Après un nouveau sursaut, il devint penaud, se ressaisit et posa son bouclier au sol.
Dienekès arpentait le terrain devant ses hommes.
— Tous les regards sur moi ! Par ici, frères !
Sa voix portait, forte et pleine par-dessus le vacarme, avec ces accents rauques qu’ont tous les combattants quand leur langue est épaissie.
— Regardez-moi, pas la bataille !
Les soldats détachèrent les yeux de la masse meurtrière qui avançait et refluait à une portée de pierre. Dienekès tournait le dos à l’ennemi.
— Rien qu’au bruit, un aveugle comprendrait ce qui se passe. Les boucliers des ennemis sont trop petits et trop légers. Ils ne peuvent pas se protéger. Les Thespiens les taillent en pièces. Les regards des hommes dérivaient irrésistiblement vers le combat. Regardez-moi ! L’ennemi n’a pas encore cédé. Il sent que le roi les regarde. Ils se font faucher comme les blés, mais le courage ne les a pas abandonnés. Dans la zone de combat, les casques de nos alliés dépassent le carnage. Il semble qu’ils construisent un mur. Un vrai mur. Avec les cadavres des Perses.
Et c’était vrai. On distinguait un mur qui montait dans la bataille.
— Les Thespiens ne vont tenir que quelques moments de plus. Ils sont épuisés de tuer. Écoutez-moi ! Quand notre tour viendra, l’ennemi sera prêt à céder. Je l’entends qui cède déjà. Nous ne ferons qu’aller et venir. Personne ne mourra. Il n’y aura pas de héros. Entrez dans la mêlée, tuez ce que vous pouvez et sortez quand la trompette sonnera.
Justement, derrière les Spartiates sur le Mur, et la troisième vague des Tégéates et des Locriens d’Opontide, le son lancinant du salpigx domina le vacarme. Là-bas, devant, Léonidas leva sa lance et abaissa son casque. Polynice et les siens avancèrent pour l’entourer. La partie des Thespiens était achevée.
— Baissez les casques ! cria Dienekès. Plats à fromage en garde !
Les Spartiates effectuèrent une avance frontale, sur huit rangs de profondeur et à double intervalle, pour permettre aux Thespiens qui se retiraient de traverser leurs lignes, homme par homme, un rang à la fois. Mais cela se fit dans le désordre, parce que les Thespiens étaient épuisés. Les Lacédémoniens leur passèrent dessus. Quand les premiers rangs spartiates, les promachoi, commencèrent à plonger leurs lances dans l’ennemi, ils durent le faire par-dessus le dos de leurs alliés. Beaucoup des Thespiens, en effet, s’étaient simplement écroulés et se laissaient piétiner. Leurs servants vinrent les remettre sur pied une fois que les Spartiates furent passés.
Tout ce que Dienekès avait dit était vrai. Les boucliers des Mèdes n’étaient pas seulement trop légers et trop petits, mais encore leur manque de masse les empêchait de prendre de l’élan contre les gros et
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