Les murailles de feu
l’élan des premiers rangs avait laissés en arrière, s’élancèrent à leur tour en vagues successives. Chaque homme tenait son bouclier haut et, aussi fermement que ses membres tétanisés par la peur le lui permettaient, le plantait dans le dos du camarade devant lui, soutenant le bord supérieur du bouclier avec son épaule gauche ; prenant appui dans le sol de toute la force de ses orteils, il s’enfonçait dans la mêlée. On était saisi rien que d’entendre les Thespiens en appeler aux dieux, aux âmes de leurs enfants, à leurs mères, à toutes les entités nobles ou absurdes qu’ils pouvaient imaginer. Ils fonçaient au mépris de leur vie, avec un courage insensé, dans cette mêlée meurtrière.
Ce qui avait été, un moment plus tôt, une formation militaire organisée, où l’on pouvait reconnaître les grades et même les individus, se transforma en un clin d’œil en une masse bouillonnante de tueries. Les réserves thespiennes ne purent plus se contenir ; elles se précipitèrent à leur tour en avant, ajoutant le poids de leurs rangs à celui de leurs frères, poussant la masse compressée de l’ennemi.
Les servants des Thespiens s’agitaient derrière eux comme des fourmis sur une plaque chaude, n’ayant ni rangs, ni armures, les uns, terrorisés, battant en retraite, les autres s’exhortant à rassembler leur courage pour ne pas faillir à ceux qu’ils servaient. Ce fut vers eux que déferlèrent une deuxième, puis une troisième pluie de flèches, décochées par les archers ennemis placés derrière les lanciers et tirées en trajectoires hautes, par-dessus les têtes de leurs camarades. Les pointes de bronze des flèches se fichaient en terre le long d’une ligne irrégulière, aussi distincte que celle de l’écume sur les vagues. Mais on voyait que ce rideau de mort reculait, car les archers mèdes reculaient, en effet, afin de maintenir suffisamment d’espace entre eux et leurs lanciers pour pouvoir concentrer les trajectoires de leurs tirs sur les Grecs. Un servant thespien s’avança imprudemment vers la ligne de chute et y récolta une flèche dans le pied ; il s’éloigna en sautillant, hurlant de douleur et maudissant sa sottise.
— Lion de Pierre, en avant !
Sur ce cri, Léonidas quitta le poste qu’il occupait sur le Mur et descendit la pente de celui-ci, en tête devant les Spartiates, les Mycéniens et les Phliontes. Ceux-ci le suivirent, la ligne de chute des flèches ennemies ayant reculé sous la poussée furieuse des Thespiens. Ils maintinrent leurs formations, ainsi qu’ils s’y étaient entraînés tant de fois au cours des quatre jours précédents, et arrivèrent donc au sol en position de combat.
Tout le long du flanc de la montagne, à gauche, trois rochers, chacun double de la taille d’un homme, afin qu’on pût les apercevoir par-dessus la poussière de la bataille, avaient été choisis comme points de repère.
Le Lézard de Pierre, ainsi nommé en l’honneur d’un de ces reptiles qui se chauffait insolemment au soleil, ce jour-là, se trouvait le plus à l’avant du Mur Phocidien et le plus près du goulet, à cent cinquante pieds environ de l’ouverture du défilé. C’était la ligne jusqu’à laquelle on permettrait à l’ennemi de s’avancer. On avait, en effet, calculé, avec nos propres hommes, qu’un millier d’ennemis pouvaient se serrer entre ce repère et le goulet. Un millier de Mèdes, avait décrété Léonidas, y seraient donc enfermés. Là, au Lézard de Pierre, on les attaquerait et l’on endiguerait leur avance.
La Couronne de Pierre, deuxième des trois repères, à une centaine de pieds derrière le Lézard, définissait la ligne où chaque détachement de réserve se mettrait en formation, immédiatement avant de se jeter dans la mêlée.
Le Lion de Pierre, le plus reculé des trois repères, se trouvait directement devant le Mur et marquait la ligne d’attente, celle où les unités de réserve se formeraient, laissant assez d’espace entre elles et les rangs arrière des combattants, afin que ces derniers pussent se reformer et permettre si possible d’évacuer les blessés.
Le long de cette ligne de démarcation, les Spartiates, les Mycéniens et les Phliontes prirent leur poste.
— En ligne ! cria le polémarque Olympias. Réduisez les intervalles !
Il passa la ligne en revue, sans se soucier des flèches qui pleuvaient, criant ses ordres aux commandants de pelotons qui les
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