Les murailles de feu
place devant ses écritoires.
Les quatre mille Grecs lancèrent des insultes et firent des gestes obscènes.
Sa Majesté se leva d’un air dégagé et répondit d’un geste élégant et peut-être même ironique, comme si Elle était accueillie par les cris d’adulation de ses sujets. Elle s’inclina et, bien que la distance fût trop grande pour l’assurer, il sembla qu’elle sourît. Elle salua ses capitaines et s’installa sur son trône.
De ma place sur le Mur, à trente hommes de distance du flanc gauche, adossé à la montagne, j’apercevais, comme les Thespiens devant, les Lacédémoniens, les Mycéniens et les Phliontes, les capitaines de l’ennemi avancer au son des trompettes, dans l’avant-garde de l’infanterie. Par tous les dieux, ils étaient beaux. Les six commandants de division semblaient plus grands et plus beaux que les autres. Nous apprîmes plus tard qu’ils ne représentaient pas seulement la fleur de l’aristocratie mède, mais qu’ils comptaient dans leurs rangs les fils et les frères de ceux qui avaient été tués par les Grecs dix ans auparavant, à Marathon. Ce qui était impressionnant était leur allure, majestueuse, presque dédaigneuse. Ils écarteraient les défenseurs comme des mouches, semblaient-ils signifier. Le rôti de leur déjeuner était déjà sur la broche. Ils nous balayeraient sans verser une goutte de sueur, puis retourneraient souper à loisir.
Je regardai Alexandros ; son front luisait et il était livide. Il respirait par à-coups, bruyamment. Mon maître se tenait à un pas devant lui, l’attention captivée par les Mèdes, qui emplissaient le goulet et dont la masse semblait s’étendre à l’infini, au-delà de la vue. Il ne manifestait aucune émotion ; il les jaugeait, évaluant leurs armes, l’allure de leurs officiers, leurs uniformes, la distance entre leurs rangs.
C’étaient des mortels comme nous ; et peut-être qu’ils regardaient aussi avec anxiété la force qui allait les affronter. Léonidas avait maintes fois recommandé aux officiers thespiens de veiller à ce que les boucliers, les jambières et les casques de leurs hommes fussent aussi brillants que possible ; et là, c’étaient des miroirs. Par-dessus les bords des boucliers de bronze, les casques rutilaient, surmontés par des crinières de queue de cheval qui, lorsqu’elles frissonnaient au vent, ne créaient pas seulement une impression de haute taille, mais dégageaient aussi une indicible menace.
Ce qui ajoutait au spectacle terrifiant de la phalange hellénique et qui pour moi était le plus effrayant, c’étaient les masques sans expression des casques grecs, avec leurs nasales épaisses comme le pouce, les jugulaires écartées et les fentes sinistres des yeux, qui recouvraient tout le visage et donnaient à l’ennemi le sentiment qu’il affrontait, non pas des créatures de chair comme lui-même, mais quelque atroce machine, invulnérable, impitoyable. J’en avais ri avec Alexandros moins de deux heures auparavant, quand il avait posé son casque sur son bonnet de feutre ; l’instant d’avant, avec le casque posé à l’arrière du crâne, il paraissait juvénile et charmant, et puis quand il eut rabattu la jugulaire et ajusté le masque, toute l’humanité du visage était partie. La douceur expressive des yeux avait été remplacée par deux insondables trous noirs dans les orbites de bronze. L’aspect du personnage avait changé. Plus de compassion. Rien que le masque aveugle du meurtre.
— Enlève-le ! avais-je crié. Tu me fais peur !
Et je ne plaisantais pas.
Dienekès vérifiait à ce moment-là l’effet des armures hellènes sur l’ennemi. Il parcourait leurs rangs du regard.
Les taches sombres de l’urine maculaient plus d’un pantalon, çà et là, les pointes des lances tremblaient. Les Mèdes se mirent en formation, les rangs trouvèrent leurs marques, les commandants prirent leurs postes.
Le temps s’étira encore. L’ennui le céda à l’angoisse. Les nerfs se tendirent. Le sang battait aux tempes. Les mains devinrent gourdes et les membres insensibles. Le corps sembla tripler de poids et se changer en pierre froide. On s’entendait implorer les dieux sans savoir si c’étaient des voix intérieures ou si on criait réellement et sans vergogne des prières.
Sa Majesté se trouvait sans doute trop haut sur la montagne pour s’être avisée du coup du ciel qui précipita l’affrontement. Tout d’un coup, un
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