Les murailles de feu
ensanglanté. Il appela son servant et ils retournèrent dans le massacre.
Derrière les lanciers mèdes en déroute se tenaient les archers. Ils étaient toujours en formation, sur vingt rangs, chaque archer retranché derrière un bouclier d’osier tressé grand comme lui et fiché dans le sol par une pointe de fer. Une centaine de pieds les séparaient des Spartiates. Et les Mèdes lâchèrent leurs flèches en tirs tendus. De la sorte, ils tirèrent dans le dos de leurs propres lanciers, les derniers courageux qui affrontaient les Spartiates. Ils se moquaient de tuer dix des leurs, pourvu qu’une flèche pût atteindre un seul Spartiate.
L’avant-garde Spartiate se trouva donc exposée au tir direct des archers mèdes. Léonidas sortait d’un combat dont les efforts physiques auraient dépassé l’endurance d’un homme jeune et fort ; il ordonna cependant à ses hommes de se mettre en formation et d’avancer. Les Lacédémoniens obéirent, avec une discipline et un ordre inconcevables dans ces circonstances. Les Mèdes n’avaient pas lancé une deuxième volée de flèches qu’ils firent face à un front de plus de soixante boucliers, couverts de boue, de sang et de débris horribles dégouttant sur le bronze et le tablier de cuir qui protégeait les jambes de chaque porteur. Au-dessous, des jambières de bronze épais protégeaient aussi les jambes ; au-dessus, on ne voyait que le sommet des casques avec leurs plumets et les crêtes des officiers.
Et ce mur de bronze et d’écarlate s’avança dans le feu des flèches mèdes, crépitant avec une vitesse meurtrière. Mais, quand il a peur, un archer tire haut. Ces projectiles sifflaient, puis heurtaient la forêt de lances verticales et retombaient aux pieds des Spartiates. Quand elles heurtaient le bronze des boucliers, les flèches rebondissaient, mais, quand elles heurtaient le bois, elles faisaient dans le chêne le bruit d’un clou qu’on enfonce.
Je m’étais mis dans l’ombre de Médon, le doyen du réfectoire Deucalion, que son rang d’honneur plaçait à l’arrière de la première ligne du peloton de Dienekès. S’efforçant de ne pas trébucher, les flûtistes avançaient courbés sur les talons des derniers rangs, car ils n’avaient ni armes ni armures ; ils soufflaient tant bien que mal les notes aiguës de la cadence. Les rangs grecs avançaient serrés, ordonnés, sur cette cadence ; pas de cris sauvages ; un silence de mort, presque solennel et empreint d’une sombre détermination. L’espace qui les séparait des Mèdes n’était plus que de soixante pieds. Le tir des ennemis redoubla. On entendait les cris qu’aboyaient leurs officiers et l’air vibrait dans la pluie de flèches.
Une flèche qui siffle aux oreilles peut ramollir les genoux. La tête polie du projectile crie sa malveillance tandis que le poids de la tige dirige son vol meurtrier. Les flèches biseautées de la queue signent l’intention homicide. Mais cent flèches font un bruit différent. L’air semble s’épaissir et devenir incandescent ; il vibre comme un solide. Le guerrier se sent enfermé dans un corridor d’acier vivant. La réalité se réduit à cet espace de mort dont il est prisonnier. Il ne voit plus le ciel, il ne se rappelle même plus qu’il existe.
Viennent mille flèches. Leur bruit est comme un mur. Il n’offre aucune faille, aucun répit. Solide comme une montagne, il chante la mort. Et quand les flèches sont lancées, non pas dans un tir long, parabolique, pour qu’elles retombent de leur propre poids, mais en tir tendu, plat, à sa vélocité maximale et sur une cible si proche que l’archer ne se donne même plus la peine de calculer le point d’impact, cette pluie de fer devient parfaitement infernale.
C’est dans ce fracas qu’avançaient les Spartiates. Nous apprîmes plus tard des Alliés observant l’assaut du haut du Mur que, lorsque les lances passèrent pour l’attaque de la verticale à l’horizontale, et que les phalanges allongèrent le pas, Sa Majesté se leva sur son observatoire, terrifiée par ce qui attendait Son armée.
Les Spartiates savaient comment attaquer l’osier tressé. Ils l’avaient pratiqué d’innombrables fois sous les chênes du champ d’Otona, quand nous, servants et hilotes, subissions le choc massif de leurs assauts. Ils savaient que la lance est inefficace, car, une fois qu’elle a pénétré l’osier entrecroisé, elle est impossible à retirer. Et l’épée ne
Weitere Kostenlose Bücher