Les murailles de feu
également libéré les servants et tous les étrangers qui servaient dans l’armée. Il s’adressa à mon maître. Cela comprend Suicide et Xéon aussi.
Les contingents alliés continuaient de défiler derrière le Coq.
— Le retiendras-tu, Dienekès ? demanda le Coq en parlant de moi.
Mon maître ne me regarda pas.
— Je n’ai jamais contraint Xéon à mon service, et je ne le contrains pas davantage maintenant.
Il se redressa et se tourna alors vers moi. Le soleil s’était levé et, derrière le Mur, les trompettes résonnaient.
— L’un de nous, dit-il, doit sortir vivant de ce trou.
Et il m’ordonna de partir avec le Coq.
Je refusai.
— Tu as une femme et des enfants ! me dit le Coq en me secouant par les épaules et en faisant passionnément signe à Dienekès et à Polynice. Ceci n’est pas ta cité. Tu ne lui dois rien.
Je lui répondis que ma décision avait été prise plusieurs années auparavant.
— Tu vois ? lui dit Dienekès en m’indiquant. Il n’a jamais eu de bon sens.
Là-bas sur le Mur, Dithyrambe affrontait un dilemme : ses Thespiens avaient refusé jusqu’au dernier l’ordre de Léonidas ; ils resteraient et mourraient avec les Spartiates. Ils étaient quelque deux cents et même leurs servants refusaient de se retirer. Quatre-vingts hilotes et servants spartiates le refusaient également, de même que le voyant Mégisthe. Ceux des trois cents pairs qui avaient survécu étaient tous là, à l’exception d’Aristodème, l’ancien émissaire à Athènes et à Rhodes, et d’Euryte, un champion de lutte, souffrant tous deux d’une infection des yeux qui les avait rendus aveugles ; ils avaient donc été évacués vers Alpenoï. Le katalogos des soldats qui se mettaient en formation au Mur totalisait un peu plus de cinq cents hommes.
Quant à Suicide, mon maître lui avait donné l’ordre, avant d’aller enterrer Alexandros, de rester allongé sur une litière. Dienekès avait sans doute prévu que les servants seraient renvoyés chez eux et il avait également donné l’ordre que Suicide fût emmené avec les autres. Mais, quand il revint, il trouva Suicide sur pied, souriant d’un air sarcastique, vêtu de son corselet et de son armure ; son aine était pansée et ligaturée avec des lanières de cuir de paquetage.
— Je ne peux pas chier, dit-il, mais, par les flammes des Enfers, je peux encore me battre !
L’heure suivante se passa à reformer le contingent sur un front suffisamment large et profond, à organiser les éléments disparates en unités et à désigner des officiers. Parmi les Spartiates, les servants et les hilotes qui étaient demeurés furent intégrés dans les pelotons des pairs qu’ils servaient. Ils ne se battraient donc plus en qualité d’auxiliaires, mais ils occuperaient leur place dans la phalange même et ils seraient en armures. Celles-ci ne manquaient pas ; c’étaient plutôt les armes qui faisaient défaut, car on en avait beaucoup cassé au cours des dernières quarante-huit heures. On en établit deux dépôts, l’un au Mur et l’autre à un stade et demi à l’arrière, à mi-chemin d’un monticule partiellement fortifié et qui représentait le site naturel pour le dernier baroud d’une force assiégée. Ces dépôts étaient modestes, rien que des épées à la lame enfoncée dans le sol, des lances entassées derrière et des pique-lézard.
Léonidas convoqua les hommes. Ce fut fait en silence ; si peu d’hommes demeuraient. Le camp parut soudain immense. Le sol fendillé de la « piste de danse » devant le Mur était encore couvert de milliers de cadavres perses, tombés au deuxième jour de l’assaut et que l’ennemi avait laissés pourrir là. Il y avait aussi des blessés qui avaient passé la nuit et qui gémissaient, les uns demandant du secours et de l’eau, et les autres, le coup de grâce. La perspective de se battre de nouveau sur ce champ de mort paraissait insupportable aux Alliés.
Car Léonidas en avait ainsi décidé, en effet : les commandants avaient estimé, dit-il, qu’il ne fallait plus se battre derrière le Mur en effectuant des sorties, comme les deux jours précédents, mais qu’il fallait au contraire mettre le Mur derrière eux ; ils avanceraient en corps compact dans la partie la plus large du défilé, et là ils engageraient le combat contre les hordes de l’Empire. L’intention du roi était que chaque homme défendît sa peau aussi chèrement que
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