Les murailles de feu
camps grouillaient déjà d’athlètes venus de toutes les villes de Grèce pour se préparer sur les lieux, comme le demande la loi divine. Ces concurrents, tous dans leur prime jeunesse, inégalés à la course et dans l’adresse sportive, entourèrent mon maître dès qu’il arriva ; ils étaient impatients d’entendre les nouvelles sur l’avance perse et tourmentés par l’interdiction olympique de porter des armes. Il ne me revenait pas de m’interroger sur la mission de mon maître, et je ne pouvais que supposer qu’elle consistait à demander une dispense des prêtres.
J’attendis à l’extérieur de l’enceinte tandis que Dienekès poursuivait ses entretiens. Il finit tôt dans la matinée et nous eussions dû retourner incontinent à Sparte. Mais mon maître semblait toujours soucieux, absorbé dans ses réflexions.
— Viens, me dit-il en m’entraînant vers l’avenue des Champions, à l’ouest du stade olympique, je vais te montrer quelque chose pour ton instruction.
Nous passâmes devant les stèles d’honneur, où les noms et pays d’origine des champions étaient inscrits. Je repérai le nom de Polynice, l’un des compagnons de l’ambassade de mon maître à Rhodes, gravé par deux fois à l’occasion de ses deux victoires à la course en armure, dans deux Olympiades successives. Dienekès montra du doigt les noms d’autres champions lacédémoniens, des hommes qui avaient maintenant trente et quarante ans et que je connaissais de vue, ainsi que ceux d’autres qui étaient morts au combat des décennies et même des siècles plus tôt. Puis il indiqua un nom, datant de quatre Olympiades, dans la liste des vainqueurs du pentathlon :
Iatroclès,
fils de Nicodiade,
Lacédémonien
— C’était mon frère, dit Dienekès.
Cette nuit-là mon maître dormit au quartier des Spartiates, où l’on m’avait gardé une place sous les portiques. Son humeur restait inquiète. Avant même que je me fusse allongé sur les pierres froides, il ressortit, entièrement vêtu, et me fit signe de le suivre. Nous traversâmes les avenues désertes vers le stade olympique, pénétrâmes par le tunnel des participants et émergeâmes dans la vaste et silencieuse arène des lutteurs, tendue de pourpre et maintenant du mystère de la nuit. Dienekès gravit les gradins au-dessus du balcon des juges et vers les places sur l’herbe réservées aux Spartiates. Il choisit un endroit sous les pins au sommet de la colline et s’y assit.
Je commençai alors, comme c’était mon devoir de servant, à préparer l’huile chaude à base de girofle et de camphre pour masser mon maître avant le sommeil, ainsi qu’il le souhaitait et comme presque tous ses pairs quand ils ont dépassé trente ans. À la quarantaine passée de deux ans, Dienekès était loin d’être vieux, mais ses articulations craquaient comme celles d’un vieillard. Son précédent servant, un Scythe surnommé Suicide, m’avait enseigné la bonne manière de pétrir les nœuds et bourrelets de ses nombreuses cicatrices, ainsi que les petites astuces destinées à pallier ses handicaps quand je l’aidais à revêtir son armure. Ainsi Dienekès ne pouvait avancer l’épaule gauche devant son oreille, ni lever son coude au-dessus de sa clavicule. Pour le vêtir, il fallait donc commencer par lui lier le corselet sur le torse, et, tandis qu’il le retenait avec ses coudes repliés, mettre en place les épaulettes de cuir d’un coup de pouce. Il ne pouvait non plus se pencher pour soulever son bouclier, même quand celui-ci était appuyé contre son genou ; je devais donc soulever le bouclier jusqu’à ce qu’il pût glisser l’avant-bras dans les poignées. Il ne pouvait non plus tendre le pied droit à moins que la circulation n’y eût été rétablie par des massages.
La plus saisissante de ses cicatrices était néanmoins celle qui lui longeait le front, sur la ligne du cuir chevelu. Elle était habituellement cachée par ses longs cheveux rabattus sur le front, mais, quand il lui fallait nouer ses cheveux en arrière pour revêtir le casque ou se coucher, elle réapparaissait sur toute sa livide longueur. Je la voyais bien maintenant, à la clarté des étoiles. Mon expression dut paraître comique à Dienekès, car il eut un petit rire et caressa l’ancienne blessure.
— C’est un cadeau des Corinthiens, Xéon. Un vieux cadeau qui remonte à l’époque de ta naissance. Et elle me rappelle l’histoire de mon
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