Les murailles de feu
des rails de carénage pour qu’on pût en nettoyer et rendre étanche le bas des coques. C’étaient des Tyriens qui s’en chargeaient avec enthousiasme. L’air sentait la cire. En effet, les marins graissaient les coques pour les rendre plus rapides. En comparaison avec ces navires de course, la galère d’État Spartiate Orthia ressemblait à un chaland de détritus. Mais le détail le plus abondamment commenté ne touchait pas du tout aux choses de la mer. C’étaient les pagnes que les marins portaient pour protéger leurs parties.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Dienekès en riant et en tirant sur le corselet du capitaine. Des langes ?
— Prends garde, mon ami, répondit l’autre d’un ton faussement grave, j’ai entendu parler de vous, les Grecs !
L’Égyptien demanda alors au Spartiate pourquoi ils portaient leurs cheveux si longs. Olympias cita Lycurgue : « Parce qu’aucun autre ornement ne rend un bel homme plus séduisant et un homme laid plus terrifiant. Et que ça ne coûte rien. »
Le marin se moqua alors des fameuses épées courtes des Spartiates, les xiphos ; il se refusait à croire que ce fussent les vraies armes avec lesquelles les Lacédémoniens se battaient ; ce devaient être des jouets ; comment ces couteaux à fruits pouvaient-ils faire du mal à l’ennemi ?
— L’astuce consiste, répondit Dienekès en se collant poitrine contre poitrine à Tommie, à arriver à une intimité confortable.
En partant, les Spartiates offrirent aux marins deux outres de vin de Phalère, le meilleur qu’ils eussent et qui avait été destiné au consulat à Rhodes. En retour, les marins offrirent à chaque Spartiate un darique d’or, ce qui était la paie mensuelle d’un marin grec, et un sac de grenades fraîches du Nil.
La mission rentra à Sparte sur un échec. Ainsi que Sa Majesté le sait, les Hellènes rhodiens parlent un dialecte semblable à celui des Lacédémoniens et ils donnent à leurs dieux les mêmes noms dérivés du dorien. Mais, depuis la première guerre contre les Mèdes, leur île avait été un protectorat de l’Empire. Quel autre choix que la soumission se présentait donc à eux, alors que leur nation se trouvait à l’ombre des mâts de la flotte impériale ? L’ambassade Spartiate avait tenté, contre toute espérance, de détacher une fraction de la flotte rhodienne du service de Sa Majesté ; elle ne trouva personne pour l’écouter.
Notre ambassade l’apprit à son retour au pays : les missions simultanément expédiées en Crète, à Cos, Chios, Lesbos, Samos, Naxos, Imbros, Samothrace, Thasos, Skyros, Mykonos, Paros, Tenos et Lemnos avaient essuyé pareils échecs. Même Délos, lieu de naissance d’Apollon en personne, avait adressé aux Perses des gages de soumission.
Phobos. On humait cette terreur dans l’air d’Andros, où nous fîmes escale sur le retour. On la sentait comme une sueur à Kéos et Hermioné ; on n’y trouva ni auberge ni terrain de halage où les capitaines et les rameurs ne fussent féconds en récits alarmants sur l’ampleur de la mobilisation en Orient et en témoignages oculaires sur les armées innombrables de Sa Majesté.
Phobos : il accompagna l’ambassade lorsqu’elle débarqua à Thyrea et commença son poussiéreux voyage de deux jours vers Sparte, à travers le Parnon. En traversant le massif oriental de cette montagne, les envoyés voyaient les campagnards et les citadins évacuer leurs possessions vers les montagnes. Des garçons conduisaient des ânes chargés de sacs d’orge et de blé, sous la protection des hommes armés de la famille, suivis par des vieillards et des enfants. Sur les hauteurs, les clans enterraient des jarres d’huile et de vin, taillant dans les roches des enclos pour les moutons et des abris rudimentaires pour eux-mêmes.
Phobos. À la citadelle de frontière de Karyai, notre groupe tomba sur une ambassade de la ville grecque de Platée ; c’était une douzaine d’hommes suivie d’une escorte montée, qui se dirigeait vers Sparte. Leur ambassadeur était le héros Arimneste de Marathon. L’on racontait que cet homme, alors âgé de cinquante ans, s’était jeté à la mer, tout en armure, pour tailler les rames des trirèmes des Perses qui battaient en retraite pour sauver leurs vies. Les Spartiates raffolaient de ce genre d’exploits. Ils insistèrent pour que le groupe d’Arimneste se joignît au leur pour le souper et pour faire
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