Les murailles de feu
l’avoir aimée comme elle le méritait.
Les sacrifices finaux étaient consumés, les augures avaient été pris et enregistrés. Les Trois Cents se mirent en formation, chaque pair avec un seul servant, dans l’ombre du lointain Parnès, sur la pente duquel, à droite, du côté des boucliers, l’armée entière s’était rangée. Léonidas prit sa place en tête, près de l’autel, le front ceint de lauriers comme les autres. Le reste de la cité, vieillards et enfants, mères et épouses, hilotes et artisans, était massé du côté gauche, celui des lances. L’aube n’avait pas encore point, ni le soleil paru au-dessus de la crête du Parnès.
— La mort est proche de nous, dit le roi. La sentez-vous, frères ? Moi, oui. Je suis humain. Je la crains. Mes yeux cherchent un spectacle qui puisse fortifier mon cœur pour ce moment où je la regarderai en face.
Il avait commencé à parler d’une voix égale, qui portait bien dans le calme de l’aube, audible de tous.
— Vous dirai-je où je trouve cette force, mes amis ? Dans les yeux de nos fils en tenue écarlate devant nous, oui. Et dans les attitudes de leurs camarades qui suivront dans les batailles à venir. Et plus encore, mon cœur puise du courage dans nos épouses, qui nous regardent partir en silence et sans larmes.
Il montra du doigt les femmes assemblées et désigna deux matrones qu’il appela par leurs noms, Pyrrho et Alcmène.
— Combien de fois ont-elles attendu dans l’ombre froide du Parnès pour regarder ceux qu’elles aimaient partir à la guerre ? Pyrrho, tu as vu des grands-pères et un père marcher le long de l’Aphétaïde et ne jamais en revenir. Alcmène, tu as regardé sans larmes un mari et des frères partir vers la mort. Et te voici de nouveau, avec bien d’autres qui en ont vu autant et plus, regardant des fils et des petits-fils marcher vers les Enfers.
Et c’était vrai. Le fils de la matrone Pyrrho, Doreion, défilait avec les chevaliers, le front ceint de lauriers, et les petits-fils d’Alcmène étaient les champions Alphée et Marton.
— La souffrance des hommes est légère et passe vite. Nos blessures sont celles de la chair, qui n’est rien, mais les blessures des femmes sont celles du cœur et le chagrin sans fin est plus lourd à porter. Apprenez d’elles, mes frères, de la douleur qu’elles endurent à l’accouchement et que les dieux ont décrétée inéluctable. Soyez témoins de la leçon qu’elles vous donnent : rien de précieux n’est donné sans paiement. Le bien le plus doux est la liberté, c’est celui que nous avons choisi et pour lequel nous payons. Nous avons adopté les lois de Lycurgue ; elles sont dures ; elles nous ont habitués à dédaigner l’oisiveté, que nous pourrions pourtant goûter sur cette riche terre qui est la nôtre si nous le voulions, au lieu de nous enrôler à l’académie de la discipline et du sacrifice. Pendant vingt générations, guidés par ces lois, nos pères ont respiré l’air béni de la liberté et ils ont payé le prix fort quand il l’a fallu. Nous, leurs descendants, ne pouvons en faire moins.
Chaque guerrier reçut des mains de son servant un bol de vin dans sa propre coupe rituelle, celle qu’on lui avait offerte le jour où il était devenu pair et dont il ne se servait que dans les grandes cérémonies. Léonidas éleva la sienne en adressant une prière à Zeus le Conquérant, ainsi qu’à Hélène et aux Jumeaux Castor et Pollux. Et il versa la libation.
— En six cents ans, dit le poète, aucune femme Spartiate n’a vu les fumées des feux ennemis.
Léonidas leva les bras vers les dieux.
— Par Zeus et par Éros, par Athéna Protectrice et par Artémis la Probe, par les Muses et tous les dieux et héros qui défendent Lacédémone et par le sang de ma propre chair, je jure que nos épouses et nos filles, nos sœurs et nos mères ne verront pas ces fumées cette fois-ci.
Il but le vin et les hommes suivirent son exemple.
4
Sa Majesté connaît bien les parages du défilé et du champ de bataille étroit où Ses armées ont combattu les Spartiates et leurs alliés aux Murailles de Feu. Je ne m’y appesantirai pas et j’évoquerai plutôt la composition des forces grecques, ainsi que la discorde et la confusion qui prévalurent quand elles prirent leurs postes pour défendre ce défilé.
Les Trois Cents furent renforcés par cinq cents hommes d’infanterie lourde de Tégée et autant de Mantinée ;
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