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Les murailles de feu

Les murailles de feu

Titel: Les murailles de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Pressfield
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mâle, mon mari ne pouvait être mobilisé et le plus grand des honneurs lui serait refusé. Mais je n’en avais cure. Tout ce qui comptait pour moi est qu’il vivrait. Peut-être un mois ou un an de plus, jusqu’à la prochaine bataille. Mais il vivrait. Je le garderais dans mes bras. Il serait toujours à moi.
    Dienekès avait achevé ses entretiens et il sortit se joindre aux gamins qui obéissaient déjà à leurs instincts de combat et de guerre.
    — Les dieux nous font aimer ceux que nous ne devrions pas, déclara Aretê, et repousser ceux que nous devrions aimer. Ils tuent ceux qui devraient vivre et épargnent ceux qui devraient mourir. Ils donnent d’une main et reprennent de l’autre, selon leurs propres lois mystérieuses.
    Dienekès avait repéré son épouse, qui l’observait d’en haut. Il souleva dans ses bras le jeune Idotychide et lui fit agiter le bras vers nous. Aretê se força à répondre.
    — Et maintenant, par une impulsion aveugle, me dit-elle, j’ai sauvé la vie de ce garçon, le fils du bâtard de mon frère, et j’ai perdu mon mari.
    Elle prononça ces mots avec tant de chagrin que j’en eus la gorge serrée ; les yeux me picotèrent.
    — Les femmes des autres cités admirent celles de Lacédémone, reprit-elle. Comment, se demandent-elles, ces épouses spartiates peuvent-elles rester impassibles et droites alors qu’on ramène à la maison les corps brisés de leurs époux ou pis, qu’on les enterre dans un pays étranger, sans rien leur laisser qu’un souvenir froid à serrer contre le cœur ? Ces femmes croient que nous sommes façonnées dans une autre argile qu’elles. Mais je te le dis, Xéon, ce n’est pas vrai. Croient-elles que nous, Lacédémoniennes, nous aimons nos maris moins qu’elles ? Que nos cœurs sont de pierre et d’acier ? Croient-elles que notre chagrin est moindre parce que nous ravalons nos larmes ?
    Elle tourna vers moi un regard sec.
    — Les dieux t’ont joué un tour à toi aussi, Xéon. Mais il n’est pas trop tard pour un dernier coup de dés. C’est pourquoi je t’ai donné cette bourse de chouettes.
    Je devinai ce qu’elle voulait dire.
    — Tu n’es pas Spartiate. Pourquoi devrais-tu te laisser commander par nos lois cruelles ? Est-ce que les dieux ne t’ont pas assez grugé ?
    Je la priai de ne plus en parler.
    — Cette fille que tu aimes, je peux la faire venir. Tu n’as qu’à le demander.
    — Non ! Je t’en prie !
    — Alors cours. Vas-y ce soir. Va là-bas.
    Je répondis que je ne pouvais pas.
    — Mon mari trouvera un autre servant. Qu’un autre meure à ta place.
    — Je t’en prie. Ce serait le déshonneur.
    J’eus soudain les joues en feu et me rendis compte qu’elle m’avait giflé.
    — Le déshonneur ? Elle cracha le mot avec mépris.
    Les autres garçons de la ferme avaient rejoint Dienekès. Ils avaient commencé une partie de balle. Leurs cris de joie et de rivalité retentissaient jusqu’à nous. Je ne pouvais qu’être reconnaissant à Aretê de l’offre jaillie de son cœur ; elle m’accordait la clémence que le sort m’avait refusée, de nous affranchir, moi et celle que j’aimais, des liens dont elle-même et son mari étaient prisonniers. Je ne pouvais répondre que ce qu’elle savait déjà. Je ne pouvais pas me défiler.
    — Et, de toute façon, les dieux m’attendraient au tournant. Ils ont toujours un tour d’avance.
    Elle se redressa, laissant sa volonté maîtriser les élans de son cœur.
    — Ta cousine apprendra où gît ton corps et l’honneur avec lequel tu auras péri. Je le jure par Hélène et les Jumeaux.
    Elle se leva. L’entretien était terminé. Elle était redevenue une Spartiate.
    Le matin du départ, je lui revis le même masque austère. Elle se détacha de son mari et appela les filles à elle, reprenant cette attitude rigide et solennelle qu’avaient les autres épouses tout le long de la rangée des chênes. Je vis Léonidas embrasser sa femme, Gorgo, « les Yeux Brillants », leurs filles et son fils Pléistarque, qui lui succéderait un jour sur le trône. Ma propre femme, Thereia, me serrait fort, plaquant contre moi son corps sous la robe messénienne, en même temps qu’elle tenait nos enfants sur un bras. Elle ne resterait pas longtemps veuve.
    — Attends au moins que je sois loin sur la route, lui dis-je en plaisantant.
    Je pris dans mes bras ces enfants que je connaissais à peine. Leur mère était bonne et j’eusse dû

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