Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon

pourquoi cette passion ? Dieu voudrait-il ainsi me mettre à l'épreuve?
    Laisse Dieu, je te l'ai déjà dit, je crois, s'occuper de ceux qui commettent de véritables et répugnants péchés, comme ces meurtriers que vous allez juger bientôt.
    Elle le fixa avec un visage grave.
    quant à cette passion que tu oses à peine évo≠
    quer... L'úuvre de chair et le plaisir qu'elle procure, je ne les tiens pas, moi, pour impurs : si ce Dieu que tu invoques a accompagné l'acte de procréation de la volupté, c'est sans doute parce qu'il voulait que la transmission de la vie f˚t aussi source de joie.
    Mais je suis homme d'…glise, Agnès, moine et
    même abbé !
    Crois-tu que je puisse l'oublier? Je n'ignore pas les vúux que tu as prononcés et que tu entends, toi, respecter. Je sais que tu ne tiens pour purs que les élans de l'‚me vers Dieu.
    Elle ajouta avec un air sombre :
    Je n'ignore pas qu'on t'a appris à mépriser et à
    écarter de toi toute passion charnelle, comme dégra≠

    dante, avilissante, voire répugnante. Je sais aussi, hélas ! que le temps a fait de cet enseignement une règle de vie à laquelle, aujourd'hui, tu ne saurais man≠
    quer sans ressentir, je crois, un insupportable sentiment de culpabilité et de péché ! Aussi ne ferons-nous rien qui vienne troubler ce que j'ose appeler notre amour.
    Si ce mot ne peut franchir mes lèvres, crois-tu qu'il ne hante pas mon esprit?
    Ton esprit et ton cúur, Erwin ! Et puis, vois-tu, je t'aime comme tu es, pour ce que tu es : un homme rigoureux et juste, sévère sans cruauté, réfléchi, calme, mais plus passionné que tu ne veux le laisser paraître ; j'aime également ton à-propos, ton ironie discrète, ta lucidité silencieuse.
    Je suis bien loin, Agnès, de posséder toutes les qualités que tu me prêtes.
    C'est ainsi pourtant que je te vois et je ne vou≠
    drais pour rien au monde entreprendre quoi que ce soit, f˚t-ce au nom de notre amour, qui, en ruinant la paix de ton ‚me, te diminuerait et risquerait de te détruire.
    Elle lui adressa un sourire confiant.
    -
    qu'en sera-t-il de nous demain? Sans doute
    continueras-tu à te tenir à la disposition de Charles le Grand pour faire prévaloir ordre et justice. Moi, je serai cette Aquitaine, mère d'un enfant à la survie duquel tu as participé, cette Aquitaine qui s'est ralliée à la cause de l'empereur des Francs au point qu'elle l'a de nouveau servie en Narbonnaise. Mais rien, tu m'entends, Erwin, rien ne pourra nous empêcher de nous aimer selon cet idéal de pureté auquel, mainte≠
    nant, je ne suis pas moins attachée que toi.
    Il regarda Agnès avec tendresse et déposa un baiser léger sur ses lèvres.
    POSTFACE NARBONNE ET LA NARBONNAISE
    Sur la basse vallée de l'Aude, lieu de passage entre la péninsule Ibérique et la Gaule, la Méditerranée et l'Atlantique, s'est développée très tôt une importante civilisation reposant sur de nombreuses et fructueuses activités commerciales et artisanales. Les Elysiques, dont la présence dans cette région est attestée dès le vif siècle av. J.-C, se sont installés d'abord sur des buttes comme l'oppidum de Montlaurès, situé à quel≠ques kilomètres au nord de l'actuelle ville de Narbonne et qui, haut d'une cinquantaine de mètres, domine la plaine souvent marécageuse à l'époque.
    La population, née d'une fusion entre un fond indi≠gène languedocien et des envahisseurs ibériques, a noué puis développé des rapports étroits et suivis avec les autres peuples du pourtour méditerranéen et notam≠ment avec les …trusques, les Grecs, les Carthaginois, les Romains ensuite, en intervenant dans les échanges de produits tels que métaux, bijoux, poteries, étoffes, denrées alimentaires. Cette civilisation, devenue avec le temps complètement ibérique par sa langue et ses múurs, va marquer de son empreinte toute la région jusqu'au if siècle av. J.-C., période pendant laquelle la domination romaine s'étend irrésistiblement.

    La mise en valeur de la plaine d'alluvions entourant Montlaurès ainsi que le développement du négoce et
    de l'artisanat avaient abouti à la création d'une riche agglomération le long de l'Aude, ayant pour centre une zone portuaire au sud de l'oppidum.
    C'est là que le proconsul Cn. Domitius Ahenobarbus, après avoir vaincu et chassé les Arvernes qui s'en étaient emparés, décida, en 118 av. J.-C, de fonder une cité romaine, Narbo, dont le nom est peut-être dérivé de celui de