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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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trouille que moi, et Wilson qui laisse jamais rien voir il est pas trop heureux lui non plus. Mais Croft – je te le dis – Croft aime la bagarre. Il l’aime. Y a pas de pire homme pour vous commander, ou de meilleur, ça dépend comment tu vois ça. Des dix-sept gars de notre section on en a perdu onze en comptant le lieutenant qu’était avec nous, les meilleurs gars du monde, et nous autres on a été bons à rien pour une semaine, mais le jour d’après Croft a demandé d’aller en patrouille et ils l’ont détaché à la compagnie A jusqu’à ce que toi et Ridges et Yoglio vous êtes arrivés pour reboucher les trous, de quoi refaire une escouade.
    – Est-ce que tu crois que nous recevrons assez de renfort pour reformer la section ? demanda Stanley, que la question intéressait.
    – Quant à moi, dit Brown, j’espère qu’on les recevra jamais, les renforts. Pour le moment on est tout juste une escouade retapée, mais si même on est au complet on sera jamais que deux pouilleuses escouades de huit hommes chacune. C’est ça le moche quand on est dans une section de reconnaissance ; on est tout juste deux escouades ratatinées, et ils vous envoient dans des missions où t’as vraiment besoin d’être de la taille d’une honnête section d’infanterie.
    – Oui, et puis on est désavantagé du côté des promotions, dit Stanley. Dans n’importe quelle autre section du régiment vous seriez sergents-chef, toi et Martinez, et Croft serait adjudant. »
    Brown sourit à belles dents. « Je ne sais pas, Stanley, dit-il, Si nous recevrons du renfort, mais il y a toujours cette place de caporal à prendre. Tu dédaignerais pas ça, pas vrai, dis ? »
    Malgré tous ses efforts, Stanley se sentit rougir. « Ah ! zut, chuchota-t-il, qui est-cè que je suis, moi, pour penser à cela ? »
    Brown rit doucement. « Ça vaut la peine d’y penser. »
    Stanley se dit avec colère que la prochaine fois il devrait être plus prudent avec Brown.
    Lors d’une fameuse expérience un physiologiste avait nourri un chien au son d’une cloche. Bien entendu, le chien salivait à la vue de la nourriture.
    Après un certain temps le physiologiste supprima la nourriture, tout en continuant à sonner la cloche, aux heures des repas. Le chien continua à saliver au son de la cloche. Le physiologiste poussa plus loin son expérience : il supprima la cloche et lui substitua toutes sortes de bruits. Les glandes salivaires du chien continuèrent à fonctionner.
    Il y avait un soldat à bord, qui était comme ce chien. Il y avait un long temps qu’il était outre-mer, et il avait vu un grand nombre de combats. Dans les commencements, le sifflement et la déflagration d’un obus étaient inséparables d’avec la peur qu’il en avait. Mais après bien des mois, ayant connu bien des terreurs, tout bruit subit lui était cause de panique.
    Toute cette nuit il était resté dans sa couchette, frissonnant au brusque éclat des voix, au changement des pulsations dans la chambre des machines, au bruit que faisait une pièce d’équipement quand quelqu’un y butait. Jamais encore, aussi loin qu’il pût se souvenir, ses nerfs ne furent tendus à ce point, et il suait à grosses gouttes, pensant avec terreur au matin qui venait.
    Le soldat s’appelait Julio Martinez, sergent ; il était l’éclaireur de la section de reconnaissance, attachée à la compagnie du Q. G. du 460°régiment d’infanterie.
    Le bombardement naval d’Anapopéi commença à quatre heures zéro minutes, peu d’instants après que la fausse aurore des tropiques eut rechuté dans le noir. Les grosses pièces de la flotte d’invasion partirent l’une après l’autre, deux secondes d’intervalle, et la nuit tremblait et oscillait comme un grand tronc d’arbre qui s’écrase sur les brisants. Les bâtiments roulaient et claquaient sous la décharge, fouaillant l’eau avec fureur. Le temps d’une minute, la nuit, déchiquetée et immense, fut saisie de convulsions démoniaques.
    Puis, après les premières salves, le feu devint irrégulier, et la tourmente retomba dans l’obscurité. Isolés dans la nuit, les bruits retentissants de la canonnade résonnaient comme d’immenses trains de marchandise qui ahanent et avancent par saccades le long d’une rampe. On pouvait entendre le murmure, le soupir désenchanté des obus. A Anapopéi, les rares feux de camp éparpillés sur la plage avaient disparu.
    Les premiers projectiles tombèrent

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