Les Piliers de la Terre
tête, au risque de commettre le péché
d’orgueil, et lança à Waleran un regard qui voulait dire : « Il en
faut plus que cela pour rouler Philip de Gwynedd. »
Le roi mit
terme à l’entretien : « Que l’on informe l’ancien comte, Bartholomew,
de ma décision. »
Bartholomew,
supposa Philip, devait être quelque part dans un cachot, dans l’enceinte du
château. Il se souvint de ses enfants, vivant avec leur serviteur dans le
château en ruine, et il éprouva un peu de remords en s’interrogeant sur leur
avenir.
Le roi
congédia tout le monde, sauf l’évêque Henry. Philip marchait sur des nuages. Il
arriva en haut de l’escalier en même temps que Waleran et s’arrêta pour laisser
l’évêque passer en premier. Waleran lui lança un regard venimeux. Puis il
parla, sur un ton acide comme de la bile qui, malgré la joie qu’il éprouvait,
glaça Philip jusqu’aux os. Waleran siffla : « Je jure par tout ce qui
est saint que jamais vous ne construirez votre église. » Il rassembla
alors les plis de sa robe noire et descendit l’escalier.
Philip
s’était fait un ennemi à vie.
III
Quand il
aperçut Earlscastle, William Hamleigh ne maîtrisa plus son excitation.
C’était
l’après-midi, le lendemain du jour où le roi avait pris sa décision. William et
Walter chevauchaient depuis presque deux journées, mais William ne se sentait
pas fatigué. Il avait l’impression qu’un poids l’oppressait et lui bloquait la
gorge : il allait revoir Aliena.
Il avait
un jour espéré l’épouser parce qu’elle était la fille d’un comte, et par trois
fois elle l’avait repoussé. Il se crispait en se rappelant le mépris de la
jeune fille. Elle lui avait donné l’impression de n’être personne, un paysan se
comportant comme si les Hamleigh ne représentaient rien. Mais la roue avait
tourné. Désormais, sa propre famille ne comptait plus. Et lui était le fils
d’un comte. Elle n’avait pas de titre, pas de position, pas de terre, pas de
fortune. Il allait prendre possession du château, la jeter dehors et elle
n’aurait plus de domicile non plus. C’était presque trop beau pour être vrai.
Comme ils
approchaient du château, il ralentit son cheval. Il ne voulait pas qu’Aliena
fût prévenue de son arrivée : il désirait lui faire subir le choc dans
toute son horreur.
Le comte
Percy et la comtesse Regan étaient retournés à leur vieux manoir de Hamleigh
afin de prendre leurs dispositions. Il fallait emporter le trésor, choisir les
meilleurs chevaux et les serviteurs de la maison. William avait pour tâche
d’engager des gens du pays pour nettoyer le château, allumer des feux et rendre
les lieux habitables.
De lourds
nuages gris fer se gonflaient dans le ciel et semblaient très bas, presque à
toucher les créneaux. Il pleuvrait ce soir. Tant mieux. William jetterait
Aliena à la porte en pleine tempête. Walter et lui mirent pied à terre et
amenèrent leurs chevaux par le pont-levis. La dernière fois que j’étais ici,
j’ai pris la place, songea William avec fierté. L’herbe poussait déjà dans
l’enceinte inférieure. Ils attachèrent leurs chevaux et les laissèrent paître.
William donna à son destrier une poignée de grains. Ils rangèrent leurs selles
dans la chapelle puisqu’il n’y avait pas d’écurie. Les chevaux s’ébrouèrent et
se mirent à frapper la terre du pied, mais le vent qui se levait emporta tous
ces bruits. William et Walter franchirent le second pont qui donnait accès à
l’enceinte supérieure. Il n’y avait aucun signe de vie. William pensa soudain
qu’Aliena était peut-être partie. Ce serait une désillusion terrible !
Walter et lui devraient passer une triste nuit, affamés, dans un château sale
et froid. Ils montèrent les marches de l’escalier extérieur menant à la porte
de la salle. « Pas de bruit, dit William à Walter. S’ils sont ici, je veux
les surprendre. »
Il poussa
la porte. La grande salle, vide et sombre, paraissait n’avoir pas servi depuis
des mois : ce qu’il avait prévu se vérifia, ils habitaient le dernier
étage. William à pas de loup traversa la pièce jusqu’à l’escalier. Des roseaux
secs bruissaient sous ses pas. Walter le suivait.
Ils
gravirent l’escalier, toujours sans le moindre bruit : les épais murs de
pierre étouffaient tous les sons. A mi-chemin, William s’arrêta, se tourna vers
Walter, porta un doigt à ses lèvres et lui désigna quelque chose :
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