Les Piliers de la Terre
j’avertis la guilde des
marchands et vous perdrez votre place.
— Bon,
bon, gardez vos menaces », bougonna-t-il. Il désigna une arche ouvrant sur
un passage dans le mur de pierre sur leur droite. « Bartholomew est par
là. »
Meg
ajouta : « Il va falloir de la lumière. » Elle tira deux
chandelles de la poche de son manteau, les alluma au feu, et en donna une à
Aliena. « Courage », murmura-t-elle en l’embrassant. Puis elle
s’éloigna rapidement sous la voûte opposée.
« Merci ! »
cria Aliena, mais Meg avait déjà disparu dans les ténèbres.
Tenant
haut la chandelle, elle suivit les indications d’Odo et se trouva dans un
minuscule vestibule. La flamme éclaira trois grosses portes, chacune barrée de
l’extérieur. « Droit devant vous. » cria Odo.
Aliena se
tourna vers son frère : « Richard, soulève la barre. »
Richard
fit coulisser la lourde fermeture et la posa contre le mur. En adressant au
ciel une prière silencieuse, Aliena poussa la porte.
La faible
lueur de sa chandelle ne traversait pas l’obscurité épaisse de la cellule.
Aliena scruta un moment les ténèbres qui sentaient les latrines. Une voix
s’éleva : « Qui est-ce ?
— Père ? »
chuchota Aliena. Elle distingua enfin une silhouette sombre assise sur le sol
couvert de paille.
« Aliena ? »
L’incrédulité faisait trembler sa voix. « C’est Aliena ? »
Au comble
de l’émotion, elle s’approcha, brandissant la chandelle. La flamme éclaira un
visage. Aliena eut un sursaut d’horreur.
Son père
était méconnaissable.
Habituellement
plutôt maigre, il avait maintenant l’air d’un squelette. Il était d’une saleté
repoussante, vêtu de haillons. « Aliena ! fit-il. C’est
toi ! » Son visage se crispa dans un sourire, une grimace de mort.
La jeune
fille éclata en sanglots. Jamais elle n’aurait pu imaginer le choc qui
l’attendait. Le monstre Odo avait dit la vérité : Bartholomew était
mourant. Et, pourtant, il éprouvait encore de la joie à la voir. Incapable de
surmonter l’angoisse qui l’étouffait, elle tomba à genoux, secouée de grands
sanglots.
Son père
s’avança péniblement vers elle et passa un bras autour de ses épaules. Il la
caressa comme on console un enfant qui s’est écorché. « Ne pleure pas,
dit-il doucement. Tu viens de rendre ton père si heureux. »
Aliena
sentit qu’on lui enlevait sa chandelle. Son père reprit : « Et ce
grand jeune homme, c’est mon Richard ?
— Oui,
père », dit Richard d’une voix étranglée.
Aliena
étreignit le comte et sentit son corps décharné, épuisé. Elle aurait voulu lui
dire quelque chose, trouver des mots d’affection ou de réconfort, mais elle
sanglotait si fort qu’elle n’arrivait pas à parler.
« Richard,
continuait Bartholomew, comme tu as grandi ! As-tu de la barbe ?
— Elle
commence à pousser, père, mais elle est très blonde. » La voix du garçon
trahissait son émotion. Au bord des larmes, il essayait de toutes ses forces de
ne pas craquer devant son père. Il devait se montrer un homme.
A force de
s’inquiéter pour Richard, Aliena cessa de pleurer. Au prix d’un gros effort,
elle recouvra son calme. Elle serra encore une fois contre elle le corps sans
forces de son père puis elle se dégagea et s’essuya les yeux.
« Allez-vous
bien, tous les deux ? demanda le vieil homme. Il parlait d’un ton lent et
d’une voix faible. « Comment vous êtes-vous débrouillés ? Où
avez-vous vécu ? On n’a rien voulu me dire – c’était la pire des tortures.
Mais vous paraissez en bonne santé ! Quel bonheur ! »
La pire
des tortures : Aliena se demanda s’il avait subi des sévices, mais elle ne
lui posa pas la question : elle avait trop peur de la réponse.
« Nous
allons bien, père », dit-elle, préférant le mensonge à une vérité
effrayante pour lui et qui pèserait trop lourd sur ses derniers jours de vie.
« Nous habitions le château, Matthew s’est occupé de nous.
— Vous
ne pouvez plus habiter là-bas. Le roi a nommé comte ce gros porc de Percy
Hamleigh : il va disposer du château. » Il connaissait donc la
nouvelle, pensa Aliena. « Justement, dit-elle, nous l’avons quitté. »
La main de
son père tâta sa robe, la vieille robe de toile offerte par la femme du garde
forestier. « Qu’est-ce que c’est ? s’étonna-t-il. Tu as vendu tes
vêtements ? »
Ce ne
serait pas facile de le tromper.
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