Les Piliers de la Terre
avoir été
piétinés par les chevaux. Trois des hommes d’armes de William étaient blessés,
quatre chevaux tués ou estropiés.
En
finissant son inspection, il revint auprès du cadavre de son destrier. Il avait
aimé ce cheval-là mieux qu’il n’aimait la plupart des gens. Lui que les
batailles excitaient, sombrait cette fois dans la mélancolie. Quel
gâchis ! Il ne s’agissait que de chasser quelques travailleurs désarmés,
et le résultat aboutissait à un carnage.
Les
chevaliers qui avaient poursuivi les tailleurs de pierre jusqu’aux bois durent
tourner bride, arrêtés par les broussailles que les chevaux ne pouvaient pas
franchir. En rejoignant William, Walter découvrit le corps de Gilbert. Il se
signa. « Gilbert a tué plus d’hommes que moi, dit-il simplement.
— Il
n’en existe pas tellement comme lui que je puisse me permettre d’en perdre un
dans une querelle avec un fichu moine, marmonna William d’un ton amer. Sans
parler des chevaux.
— Quelle
échauffourée, soupira Walter. Ces gens-là ont montré plus d’ardeur que les
rebelles de Robert de Gloucester ! »
William
secoua la tête avec écœurement en regardant les cadavres éparpillés autour
d’eux. « Quel idéal servaient-ils donc en se battant ainsi ? »
demanda-t-il.
IV
Au lever de
l’aube, quand la plupart des frères avaient gagné la crypte pour l’office de
prime, il ne restait plus que deux personnes dans le dortoir : Johnny Huit
Pence, qui balayait le sol d’un bout à l’autre de la longue salle, et Jonathan,
dans un coin, qui jouait à l’école.
Le prieur
Philip s’arrêta sur le seuil pour observer l’enfant. A bientôt cinq ans,
c’était un petit garçon alerte et plein d’assurance, mais aussi d’une gravité
enfantine qui charmait tout le monde. Johnny continuait à l’habiller en moine
miniature. Aujourd’hui Jonathan imitait le maître des novices, faisant la leçon
à un groupe imaginaire de disciples. « C’est mal, Godfrey !
lança-t-il sévèrement aux bancs vides. Puni. Pas de souper pour toi si tu ne
connais pas tes verbes ! » Philip eut un sourire attendri. Il
n’aurait pas aimé plus profondément un fils. Jonathan lui donnait une joie sans
mélange, comme rien d’autre dans sa vie.
L’enfant
courait dans le prieuré tel un jeune chiot, caressé et gâté par tous les
moines. La plupart d’entre eux le traitaient comme un animal familier, un jouet
amusant ; mais pour Philip et Johnny, il était infiniment plus que cela.
Johnny l’aimait comme une mère et Philip, bien qu’il essayât de le dissimuler,
se sentait le père du jeune garçon. Le prieur lui-même avait été élevé dès son
plus jeune âge par un abbé plein de bonté, et cela lui semblait la chose la
plus naturelle du monde que de tenir le même rôle envers Jonathan. Il ne le
taquinait pas comme le faisaient les moines, il lui racontait des récits
bibliques, éveillait son esprit par des jeux intelligents et surveillait son
éducation.
Il
s’avança dans la pièce et en souriant vint s’asseoir sur le banc avec les
élèves imaginaires.
« Bonjour,
mon père », dit gravement Jonathan, habitué par Johnny à se montrer d’une
scrupuleuse politesse.
« Ça
te plairait d’aller à l’école ? demanda Philip.
— Je
sais déjà le latin, remarqua fièrement l’enfant.
— Vraiment ?
— Oui.
Écoute : Omnius pluvius buvius tuvius nomine patri amen. »
Philip se
retint de rire. « Ça fait la musique du latin, mais ce n’est pas tout à
fait ça. Frère Osmond, le maître des novices, t’apprendra à le parler convenablement. »
Jonathan
fut un peu déconfit. « Mais je peux courir vite, vite,
regarde ! » dit-il. Il démarra à toute vitesse sur ses petites jambes
et piqua une course d’un bout de la salle à l’autre.
« Magnifique !
dit Philip. Un champion.
— Oui…
Je peux encore aller plus vite…
— Pas
maintenant. Écoute-moi un moment. Je vais partir quelque temps.
— Vous
serez rentré demain ?
— Non,
pas si tôt.
— Le
jour d’après ?
— Pas
même. »
Jonathan
se tut, perplexe, incapable d’imaginer un futur plus lointain que le surlendemain.
« Qu’est-ce que vous allez faire ? demanda-t-il d’une petite voix.
— Il
faut que je voie le roi.
— Oh… »
Le roi n’évoquait rien pour le petit garçon.
« J’aimerais
que pendant mon absence tu ailles à l’école. Ça te plairait ?
— Oui !
— Tu
as
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