Les Piliers de la Terre
là-dedans, dit-il du même ton pensif. Ils sont presque
tous sur les remparts, sûrement pour nous impressionner. Au fait, qu’est-ce que
c’est que cette histoire de marché ? »
Tout cela
faisait partie de l’épreuve, estima Philip : l’obliger à rester debout en
terrain découvert, le dos tourné à une horde d’archers, subir les caprices de
son discours… Il s’essuya le front avec la manchette en fourrure du manteau
royal. « Monseigneur, chaque dimanche des gens viennent de tout le comté
pour entendre la messe à Kingsbridge et travailler gratis sur le chantier de la
cathédrale. Quand nous avons commencé, quelques hommes et femmes à l’esprit
entreprenant apportaient des choses à vendre : des pâtés, du vin, des
chapeaux et des couteaux utiles aux volontaires. Ainsi, peu à peu, un marché
s’est développé. Je vous demande maintenant de lui accorder votre licence.
— Paierez-vous
les droits ? »
Rien de
plus normal, Philip en convenait, mais il savait aussi qu’on en dispensait
souvent les religieux. « Oui, seigneur, je les paierai – à moins que vous
ne souhaitiez nous octroyer la licence sans paiement, pour la plus grande
gloire de Dieu. »
Pour la
première fois, Stephen regarda Philip droit dans les yeux. « Vous êtes un
homme courageux. Vous ne tremblez pas de savoir l’ennemi derrière vous pendant
que vous discutez avec moi. »
Philip lui
rendit son regard. « Si Dieu décide que ma vie est finie, rien ne peut me
sauver, dit-il avec plus d’assurance qu’il n’en éprouvait réellement. Mais si
Dieu veut que je vive pour bâtir la cathédrale de Kingsbridge, dix mille
archers ne m’abattront pas.
— Bien
dit ! » reconnut Stephen et, donnant une claque sur l’épaule de
Philip, il se tourna vers la cathédrale. Les jambes molles, Philip le suivit,
de mieux en mieux à chaque pas qui l’éloignait du château. Il avait, semblait-il,
brillamment passé l’épreuve. Mais il devait encore obtenir du roi un engagement
sans ambiguïté. D’un instant à l’autre, il allait de nouveau plonger dans la
foule des courtisans. Alors qu’ils passaient la ligne des sentinelles, Philip
prit son courage à deux mains. « Monseigneur roi, demanda-t-il, si vous
vouliez écrire une lettre au shérif de Shiring… »
Il fut
brutalement interrompu par l’un des comtes qui surgit, tout agité, en
criant : « Robert de Gloucester est en chemin, monseigneur !
— Quoi ?
Où est-il ?
— Tout
près. Une journée au plus…
— Pourquoi
n’ai-je pas été prévenu ? J’ai posté des hommes partout !
— Il
est passé par le chemin de Fosse, puis il a quitté la route pour traverser par
la pleine campagne.
— Qui
l’accompagne ?
— Tous
les comtes et les chevaliers de son camp qui ont perdu leurs terres au cours
des deux dernières années. Ranulf de Chester également…
— Évidemment.
Le chien de traître.
— Il
a rameuté tous ses chevaliers de Chester, plus une horde de Gallois rapaces…
— Combien
d’hommes en tout ?
— Environ
un millier.
— Diable…
C’est cent de plus que nous. »
Parmi les
barons qui s’étaient rassemblés, l’un prit la parole. « Seigneur, s’il
vient par la pleine campagne, il lui faudra franchir la rivière au gué…
— Bien
dit, Edward ! s’écria Stephen. Emmenez-y vos hommes et voyez si vous
pouvez tenir la place. Il vous faut des archers aussi.
— A
quelle distance sont-ils exactement, quelqu’un le sait-il ? interrogea
Edward.
— Très
près, selon l’éclaireur, répondit le premier comte. Ils pourraient arriver au
gué avant vous.
— Je
pars, déclara Edward en faisant demi-tour.
— Le
brave ! » dit le roi Stephen. Il frappa du poing droit contre sa
paume gauche. « Je vais enfin rencontrer Robert de Gloucester sur le champ
de bataille. Je regrette de ne pas avoir plus d’hommes. Enfin… un avantage de
cent combattants, ce n’est pas grand-chose. »
Philip
écoutait en silence. Si près d’obtenir l’accord de Stephen… il n’entendait pas
renoncer même si le roi avait à présent l’esprit ailleurs. Il fit glisser de
ses épaules le manteau pourpre et dit au souverain : « Peut-être
devrions-nous chacun reprendre notre vrai personnage, monseigneur ? »
Stephen
acquiesça d’un air absent. Un courtisan passa derrière lui et l’aida à ôter son
habit de moine. Philip lui passa le manteau en ajoutant : « Seigneur,
vous sembliez bien
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