Les Piliers de la Terre
Etourdi de soulagement, au bord de
l’évanouissement, William posa une main sur l’épaule de Walter.
« Nous
avons perdu ! lui cria celui-ci. Allons-nous-en ! »
William se
redressa. Le roi continuait à se battre, malgré tout. Si seulement il acceptait
maintenant de s’enfuir, il pourrait regagner le Sud où il aurait tout loisir de
rassembler une autre armée. Mais plus il combattait, plus se multipliaient les
risques qu’il soit capturé, même tué. Résultat : Maud serait reine.
William et
Walter cédaient peu à peu du terrain. Pourquoi le roi s’acharnait-il si
stupidement ? Voulait-il donner la preuve de son courage ? Cette
orgueilleuse vaillance causerait sa perte. Une fois de plus William eut la
tentation d’abandonner le roi. Mais Richard de Kingsbridge ne démordait pas,
tenant le flanc droit comme un roc, son épée tournoyait et fauchait tout ce qui
s’approchait de lui.
« On
ne s’en va pas encore ! dit William à Walter. Regarde le roi ! »
Ils
reculèrent pas à pas. Le combat perdait de l’intensité à mesure que les hommes
comprenaient que le sort de la bataille était joué et qu’il devenait inutile de
prendre des risques. William et Walter croisèrent l’épée avec deux chevaliers,
mais sans grands risques de part et d’autre. On assenait des coups violents,
les uns avançant, les autres se détendant, mais personne ne s’exposait vraiment
au danger.
Un bruit
tout proche les fit sursauter. Une grosse pierre jaillie du champ venait de
frapper le casque du roi. Celui-ci trébucha et tomba à genoux. L’adversaire de
William tourna la tête, vit la scène et se mit à crier. La hache d’armes tomba
des mains du roi. Un chevalier ennemi se précipita sur lui et lui arracha son
casque. « Le roi ! hurla-t-il d’un ton triomphant. J’ai le
roi ! »
William,
Walter et toute l’armée royale firent demi-tour et détalèrent.
Philip
jubilait. La retraite, partie du centre de l’armée royale, se propageait
jusqu’aux flancs. En quelques instants, on ne vit plus que le dos des fuyards.
Voilà qui
récompensait le roi Stephen de son injustice !
Les
attaquants ne renonçaient pas à poursuivre les vaincus. Sur les arrières de
l’armée du roi, quarante ou cinquante chevaux sans cavalier attendaient en
réserve, tenus par des écuyers. Les premiers fuyards sautèrent en selle et
piquèrent, dos à Lincoln, vers la rase campagne.
Philip
s’interrogea sur le sort du roi.
Les
citoyens de Lincoln descendaient des toits. On rassemblait enfants et animaux.
Les familles se barricadaient dans leurs maisons, fermant les volets,
verrouillant les portes. Il y eut une certaine agitation autour des bateaux du
lac : certains essayaient de s’échapper par la rivière. Des groupes
affolés commençaient à arriver à la cathédrale pour s’y réfugier.
A chaque
entrée de la ville, on se précipitait pour tirer sur les lourdes portes les
barres de fer qui les protégeaient. Soudain, sortant du château, apparurent des
hommes de Ranulf de Chester. Ils se divisèrent aussitôt en équipes, suivant
évidemment un plan préparé, et chacun se dirigea vers une porte de la ville,
abattant au passage ceux qui se trouvaient sur leur chemin. Puis ils rouvrirent
les portes pour laisser entrer les rebelles vainqueurs.
Philip
quitta le toit de la cathédrale, imité par les chanoines qui l’avaient rejoint
pour observer le combat. Sur le seuil qui donnait accès à la tourelle, ils
rencontrèrent l’évêque et les archidiacres qui s’étaient postés plus haut dans
la tour. Philip remarqua que l’évêque Alexandre tremblait de peur.
Dommage : c’était le moment de montrer son courage…
A pas
prudents, ils descendirent l’étroit escalier en spirale et débouchèrent dans la
nef du côté ouest. Se pressaient déjà dans l’église une centaine de citoyens
tandis que d’autres affluaient par les trois grands porches. Dehors, Philip vit
deux chevaliers pénétrer dans la cour de la cathédrale, souillés de sang et de
boue, revenant droit du champ de bataille. En apercevant l’évêque, l’un d’eux
cria : « Le roi est prisonnier ! »
Philip
sentit son cœur bondir. Le roi Stephen n’était pas simplement vaincu, il était
aux mains des rebelles ! Les forces royales allaient sûrement s’effondrer
maintenant dans tout le royaume. Les conséquences de cette nouvelle situation
se bousculaient dans l’esprit de Philip, mais avant qu’il ait pu
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