Les Piliers de la Terre
lorsqu’il reprit ses esprits, tout le monde
l’avait oublié. Les Gallois étaient en train de massacrer le malheureux jeune
homme avec une incroyable sauvagerie. Philip parvint à se relever, hélas trop
tard : les marteaux et les cognées ne frappaient plus qu’un cadavre. Il
leva les yeux vers le ciel et cria avec fureur : « Si je ne peux
sauver personne, pourquoi m’avez-vous envoyé ici ? »
Comme en
réponse, il entendit un hurlement venant d’une maison voisine, un bâtiment sans
étage, en pierre et en bois, beaucoup moins somptueux que ceux qui
l’entouraient. La porte était grande ouverte. Philip se précipita à
l’intérieur. Il y avait deux pièces séparées par une arche et de la paille sur
le sol. Une femme avec deux petits enfants était blottie dans un coin,
terrifiée. Au centre, trois hommes d’armes faisaient face à un petit homme
chauve. Une jeune femme d’environ dix-huit ans gisait sur le sol. Sa toilette
était déchirée et l’un des soldats, agenouillé sur sa poitrine, lui écartait
les cuisses. Le chauve essayait manifestement d’empêcher les gredins de violer
sa fille. Comme Philip entrait, le père se jeta sur l’un des soldats qui le
repoussa. Le père recula en trébuchant. Le soldat plongea son épée dans le
ventre du père. La femme dans le coin se mit à hurler comme une âme perdue.
« Arrêtez ! »
cria Philip une fois de plus.
Ils le
regardèrent tous comme s’il était fou.
De son ton
le plus autoritaire, il lança : « Si vous commettez ce crime, vous
irez tous en enfer ! »
Celui qui
venait de tuer le père leva son épée pour frapper Philip.
« Une
minute, dit l’homme qui maintenait toujours les jambes de la fille. Qui es-tu,
moine ?
— Je
suis Philip de Gwynedd, prieur de Kingsbridge, et je vous commande au nom de
Dieu de laisser cette fille tranquille, si vous tenez à votre âme immortelle.
— Un
prieur… C’est bien ce que je pensais, dit le soldat toujours accroupi. Il vaut
une bonne rançon. »
Le premier
rengaina son épée. « Va là-bas dans le coin avec la femme, à ta place,
ordonna-t-il.
— Ne
portez pas la main sur la robe d’un moine », dit Philip. Il essayait de
prendre un ton menaçant, mais on percevait un accent désespéré dans sa voix.
« Emmène-le
au château, John », dit l’homme à califourchon sur la fille et qui semblait
être le chef.
« Va
au diable ! répliqua John, je veux la sauter d’abord. » Il saisit
Philip par le bras et, avant que celui-ci ait pu résister, le projeta dans le
coin. Philip s’écroula par terre auprès de la mère.
Le nommé
John souleva le devant de sa tunique et s’allongea sur la jeune fille.
La mère,
détournant la tête, éclata en sanglots.
« Je
ne vais pas accepter ça ! » dit Philip. Il se releva et empoigna le
violeur par les cheveux, l’écartant du corps de la fille. L’homme poussa un
rugissement de douleur.
Le
troisième leva une massue. Philip vit le coup arriver, mais trop tard. La
massue s’abattit sur sa tête. Une explosion horrible, et tout devint noir. Il
perdit connaissance avant de toucher le sol.
On emmena
les prisonniers au château où on les enferma dans des cages. C’étaient de
robustes constructions de bois, comme des maisons en miniature, longues de six
pieds et larges de trois, à peine un peu plus hautes que la tête d’un homme. Au
lieu de murs pleins, elles comportaient des poteaux verticaux à intervalles
rapprochés, qui permettaient au geôlier de voir à l’intérieur. En temps normal,
quand on les utilisait pour y enfermer des voleurs, des meurtriers et des
hérétiques, on ne mettait qu’une ou deux personnes par cage. Aujourd’hui, on entassait
les rebelles à huit ou dix et il restait encore des prisonniers. Le surplus des
captifs, attachés les uns aux autres avec des cordes, était parqué dans un coin
de l’enceinte. Ils auraient pu s’échapper sans trop de difficultés, mais ils ne
le faisaient pas, parce qu’ils étaient plus à l’abri ici que dehors, dans la
ville.
Philip,
assis dans le coin d’une cage, en proie à une violente migraine, se traitait
d’imbécile. Il avait échoué. Au bout du compte, il s’était montré aussi inutile
que ce couard d’évêque Alexandre. Il n’avait pas sauvé une seule âme ni même
évité un seul coup. Les citoyens de Lincoln n’auraient pas été plus mal lotis
sans lui. Contrairement à l’abbé Peter, il s’était révélé
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