Les Piliers de la Terre
incapable d’arrêter
la violence. Je ne suis tout simplement pas l’homme qu’était le père Peter,
songea-t-il.
Pire
encore : dans ses vains efforts pour aider les gens de la ville, il avait
sans doute gâché sa seule chance d’obtenir des concessions de Maud lorsqu’elle
deviendrait reine. Il était maintenant prisonnier de son armée. On le
soupçonnerait donc d’avoir adopté la cause du roi Stephen. Le prieuré de
Kingsbridge devrait payer une rançon pour la libération de Philip. Il était
tout à fait probable que l’histoire viendrait aux oreilles de Maud qui verrait
dès lors Philip du plus mauvais œil ! Il se sentait malade, déçu et plein
de remords.
Durant
toute la journée, on amena d’autres prisonniers. Le flux s’arrêta vers la
tombée de la nuit, mais le sac de la ville se poursuivit à l’extérieur des murs
du château : Philip entendit les cris, les hurlements, les fracas de la
destruction. Vers minuit, le bruit cessa, sans doute parce que les soldats
étaient trop ivres de vin volé, et rassasiés de viols et de brutalité.
Quelques-uns parvinrent en titubant au château, se vantant de leurs exploits,
se querellant entre eux et vomissant sur l’herbe ; ils finirent par
s’écrouler, inconscients, et s’endormir.
Philip
dormit aussi, recroquevillé dans un coin de la cage, tassé contre les barreaux
de bois. Il s’éveilla à l’aube, frissonnant de froid, rompu, mais sa violente
migraine s’était atténuée en une douleur sourde. Il se leva pour se dégourdir
les jambes et agita les bras pour se réchauffer. Le château grouillait de gens.
Les écuries débordaient de dormeurs occupant les stalles, tandis que les
chevaux étaient attachés dehors. Des jambes dépassaient par la porte de la
boulangerie et du magasin de la cuisine. Les quelques soldats restés à peu près
sobres avaient planté leurs tentes à même la terre. On voyait des chevaux
partout. Dans le donjon – un château à l’intérieur du château, édifié sur un
monticule –, à l’abri de ses puissants murs de pierre qui protégeaient une
demi-douzaine de constructions en bois, les comtes et les chevaliers du camp
vainqueur cuvaient leur victoire.
Philip
réfléchissait aux conséquences de cette bataille. Était-ce la fin de la
guerre ? On pouvait le supposer. Sauf si Matilda, comtesse de Boulogne et
épouse de Stephen, décidait de continuer la lutte : dès le début de la
guerre, aidée de ses chevaliers français, elle s’était emparée du château de
Douvres et contrôlait maintenant, au nom de son mari, une grande partie du
Kent. Toutefois, elle aurait du mal à obtenir le soutien des barons pendant
l’emprisonnement de Stephen. Même si elle réussissait à tenir le Kent pendant
quelque temps, il était peu probable qu’elle fasse d’autres conquêtes.
Quant à
Maud, ses problèmes n’étaient pas tous résolus. Il fallait d’abord qu’elle
consolide sa victoire militaire, qu’elle obtienne l’approbation de l’Église et
qu’elle soit couronnée à Westminster. Elle aurait besoin pour aboutir de
beaucoup de détermination et de sagesse.
Les choses
tournaient plutôt bien pour Kingsbridge ; ou plutôt tourneraient bien si
Philip pouvait être libéré et la vérité rétablie. Il ne s’agissait pas qu’il
passe pour un partisan de Stephen.
Malgré
l’absence de soleil, l’air se réchauffa en même temps que le ciel
s’éclaircissait. Les compagnons de cage de Philip s’éveillèrent peu à peu,
gémissant de douleur : les coups et les blessures de la veille
s’aggravaient du froid et de l’engourdissement d’une nuit glacée, sans autre
abri que le toit et les barreaux d’une cage. Certains prisonniers étaient de
riches citoyens, d’autres des chevaliers capturés au cours de la bataille.
Quand tout le monde fut à peu près réveillé, Philip demanda à la
cantonade : « Quelqu’un sait-il ce qu’il est advenu de Richard de
Kingsbridge ? » Il espérait, pour Aliena, que Richard avait survécu.
Un homme
dont la tête était enveloppée dans un pansement taché de sang, dit :
« Il s’est battu comme un lion : c’est lui qui a rallié les habitants
de la ville quand les choses ont mal tourné.
— Est-il
vivant ou mort ? »
L’homme
secoua lentement sa tête blessée. « Je l’ai perdu de vue à la fin.
— Et
William Hamleigh ? » Philip souhaita intérieurement une réponse
négative.
« Il
était au côté du roi pendant
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