Les Piliers de la Terre
féminine.
Philip,
Francis, William Hamleigh et l’évêque Waleran s’inclinèrent devant elle, puis
attendirent. Elle les ignora et continua de parler à une dame d’honneur. La
conversation semblait plutôt futile, car les deux femmes riaient de bon cœur,
mais Maud ne s’interrompit pas pour accueillir ses visiteurs.
Francis,
bien qu’il travaillât étroitement avec elle et la vît presque chaque jour,
n’était pas de ses intimes. C’était Robert, le frère de Maud et l’ancien
employeur de Francis qui le lui avait cédé à son arrivée en Angleterre, car
elle avait besoin d’un excellent conseiller. Sous cette raison officielle se
cachait aussi un motif secret : Francis assurait la liaison entre le frère
et la sœur et gardait l’œil sur l’impétueuse Maud. Dans la vie pleine de
traîtrise de la cour royale, c’était courant de voir frères et sœurs se trahir.
Le véritable rôle de Francis était d’interdire à Maud toute manigance. Maud le
savait et l’acceptait mais ses rapports avec Francis n’en demeuraient pas moins
délicats.
Deux mois
s’étaient écoulés depuis la bataille de Lincoln, deux mois très favorables à
Maud. L’évêque Henry l’avait accueillie à Winchester (trahissant ainsi son
propre frère, le roi Stephen), puis avait réuni un grand concile d’évêques et
d’abbés qui l’avaient élue reine ; à l’heure actuelle, elle négociait avec
la ville de Londres pour organiser son couronnement à Westminster. Le roi David
d’Écosse, son oncle, était en route pour lui rendre une visite officielle, d’un
souverain à un autre.
D’après
Francis, Waleran avait persuadé William Hamleigh de changer de camp pour prêter
serment d’allégeance à Maud. William venait maintenant toucher sa récompense.
Quant à l’évêque Henry, il avait l’appui inconditionnel de Waleran, de
Kingsbridge.
Les quatre
hommes attendaient toujours. C’était la première fois que Philip voyait Maud.
Son aspect ne le rassura pas : malgré son allure royale, il lui trouva
l’air d’une écervelée.
Quand Maud
jugea bon de terminer son bavardage, elle promena sur les visiteurs un regard
supérieur, qui traduisait le peu d’importance qu’elle leur accordait. Elle
dévisagea Philip avec insistance, au point qu’il en fut gêné, puis elle parla :
« Alors, Francis, m’avez-vous amené votre jumeau ?
— Madame,
dit Francis, je vous présente mon frère Philip, le prieur de
Kingsbridge. »
Philip
s’inclina une nouvelle fois. « Un peu vieux et trop grisonnant pour être
un jumeau de Francis, madame. » C’était le genre de remarque banale,
empreinte d’une modestie excessive, que les courtisans semblaient trouver
amusante. Mais Maud lança à Philip un regard glacial qui le décida à renoncer à
toute démonstration de charme mondain.
Elle passa
à William. « Et voici le compte de Shiring, qui s’est vaillamment battu
contre mon armée à la bataille de Lincoln, mais qui a maintenant reconnu son
erreur. »
William
s’inclina et eut la sagesse de rester muet.
Elle
revint à Philip. « Vous me demandez de vous accorder une licence pour
tenir un marché ?
— Oui,
madame.
— Madame,
reprit Francis, les revenus du marché seront entièrement consacrés à la
construction de la cathédrale.
— Quel
jour de la semaine voulez-vous tenir ce marché ? demanda-t-elle.
— Le
dimanche. »
Elle haussa
ses sourcils épilés. « Vous autres, saints hommes, vous opposez
généralement aux marchés le dimanche, jour consacré à l’église plutôt qu’au
commerce.
— Pas
dans notre cas, expliqua Philip. Les gens viennent travailler sur le chantier
de construction, assister à un service et ils en profitent pour faire leurs
achats et leurs ventes.
— Vous
tenez donc déjà ce marché ? » demanda-t-elle sèchement.
Philip
comprit trop tard son erreur.
Francis
vola à son secours. « Non, madame, ils ne tiennent pas de marché pour
l’instant. Les choses ont commencé de façon informelle, mais le prieur Philip y
a mis un terme en attendant d’obtenir cette licence. »
C’était
presque la vérité. Maud d’ailleurs parut l’accepter. Philip, en silence,
demanda pardon au ciel pour le mensonge de Francis.
« Il
n’y a pas d’autre marché dans la région ? demanda Maud.
— Si,
intervint le comte William, à Shiring. Le marché de Kingsbridge nous a retiré
des chalands.
— Shiring
est à huit lieues de Kingsbridge,
Weitere Kostenlose Bücher