Les Piliers de la Terre
presque tout le temps, mais au moment de la
débâcle, il s’est enfui. Je l’ai vu traverser le champ à cheval, loin devant la
troupe.
— Ah ! »
Déçu, Philip se résigna à affronter de nouveaux problèmes.
Le silence
retomba dans la cage. Dehors, les soldats commençaient à bouger, soignant leur
gueule de bois, comptant leur butin, s’assurant que leurs otages étaient tous
là et réclamant leur déjeuner. Philip se demanda si on allait nourrir les
prisonniers. Il le faudra bien, se dit-il, car à quoi serviraient des captifs
morts de faim ? On n’échange pas des cadavres contre une rançon. Mais où
trouverait-on les vivres nécessaires ? D’ailleurs, pensa-t-il par
association d’idées, combien de temps allait-il rester ici ? Ses
vainqueurs enverraient un message à Kingsbridge pour réclamer une rançon. En
réponse, les frères désigneraient un des leurs pour négocier sa libération.
Qui ? Milius serait le meilleur, mais Remigius qui, en tant que sous-prieur,
dirigeait le couvent en l’absence de Philip, pourrait préférer un de ses
compagnons, ou encore venir lui-même. Remigius prendrait son temps : il
était incapable, même dans son propre intérêt, de décisions rapides. L’affaire
risquait de durer des mois. Philip s’assombrit.
Certains
prisonniers furent plus chanceux. Dès le lever du soleil, des épouses, des
enfants, des parents des captifs commencèrent à se présenter au château,
craintivement d’abord et en hésitant, puis avec plus d’assurance, pour négocier
la rançon de ceux qui leur étaient chers. Ils discutaient un moment,
déploraient leur pauvreté, offraient des bijoux de pacotille ou des
babioles ; puis, une fois l’accord établi, ils allaient chercher la rançon
convenue, le plus souvent en espèces. Le butin s’entassait et les cages se
vidaient.
Vers midi,
la moitié des prisonniers étaient partis. Sûrement les gens du pays, supposa
Philip. Les autres venaient de villes lointaines, sans doute des chevaliers
ralliés de partout à Stephen. Philip en eut confirmation quand le gouverneur du
château fit le tour des cages en demandant les noms des restants. La plupart
étaient originaires du Sud. A l’occasion de cet appel, Philip remarqua qu’une
des cages contenait un homme seul, entravé, comme si on avait voulu renforcer
sa détention. Il fallut quelques minutes à Philip pour le reconnaître.
« Regardez !
dit-il à ses trois compagnons de cage. Cet homme, là-bas, tout seul. Est-ce
bien celui que je crois ? »
Les autres
examinèrent le détenu. « Par le Christ, fit l’un deux. C’est le
roi ! »
Philip
contempla un moment l’homme aux cheveux fauves, couvert de boue, les mains et
les pieds entravés inconfortablement dans des étaux de bois. Un homme comme les
autres. Hier, c’était le roi d’Angleterre. Hier, il refusait une licence de
marché à Kingsbridge. Aujourd’hui, il ne pouvait pas se mettre debout sans
l’autorisation d’autrui. Cet homme avait ce qu’il méritait, mais Philip ne
pouvait s’empêcher de le plaindre.
Au début
de l’après-midi, on distribua à manger. Il s’agissait des restes refroidis du
dîner préparé pour les combattants, mais les prisonniers se jetèrent dessus
avec avidité. Philip laissa les autres se servir les premiers car il
considérait la faim comme une faiblesse à laquelle il fallait savoir résister.
De plus tout jeûne imposé lui donnait l’occasion de mortifier sa chair.
Pendant
que ses compagnons d’infortune grattaient consciencieusement le fond de leur
écuelle, l’attention de Philip fut attirée par une certaine agitation du côté
du donjon. Un groupe de personnages imposants en sortit. Comme ils descendaient
les marches et traversaient l’enceinte du château fort, Philip remarqua que
deux d’entre eux marchaient en avant des autres et qu’on les traitait avec
déférence. Ranulf de Chester et Robert de Gloucester, sans doute. Philip était
incapable de les reconnaître. Les comtes s’approchèrent de la cage de Stephen.
« Bonjour,
cousin Robert », dit le roi, soulignant lourdement le mot cousin.
Le plus
grand des deux hommes prit l’air navré. « Je n’avais pas l’intention de te
laisser passer la nuit entravé. J’avais ordonné qu’on te fasse sortir, mais mon
ordre n’a pas été suivi. Enfin, tu as survécu… »
Un homme
en tenue ecclésiastique se détacha du groupe et s’approcha de la cage de
Philip. Celui-ci, fasciné
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