Les Piliers de la Terre
enfants aussi, Martha
pelotonnée aux côtés d’Agnès et Alfred allongé de l’autre côté du feu. Tom
tenait Agnès dans ses bras en la caressant doucement. De temps en temps, il lui
embrassait les cheveux. Il sentit son corps se détendre tandis qu’elle
plongeait dans un sommeil plus profond. C’était sans doute le mieux pour elle,
décida-t-il. Il lui toucha la joue. Elle avait la peau froide et humide malgré
tous ses efforts pour lui tenir chaud. Il glissa une main à l’intérieur du
manteau pour tâter la poitrine du bébé. L’enfant était tout chaud et son cœur
battait régulièrement. Tom sourit. Un costaud, se dit-il, un survivant.
Agnès
s’agita. « Tom ?
— Oui.
— Tu
te souviens de la nuit où je suis venue te rejoindre, dans ta cabane, quand tu
travaillais à l’église de mon père ?
— Bien
sûr, dit-il en la caressant. Comment pourrais-je jamais oublier ?
— Je
n’ai jamais regretté de m’être donnée à toi. Jamais un instant. Chaque fois que
je pense à cette nuit-là, je suis si heureuse. »
Il sourit.
« Moi aussi, dit-il. Je suis heureux que tu l’aies fait. » Elle
sommeilla un moment, puis reprit : « J’espère que tu bâtiras ta
cathédrale », dit-elle.
Il fut
surpris. « Je croyais que tu t’y opposais.
— C’est
vrai, mais j’avais tort. Tu mérites quelque chose de beau. »
Il ne
savait pas ce qu’elle voulait dire.
« Bâtis
pour moi une belle cathédrale », dit-elle.
Délirait-elle ?
Il fut content lorsqu’elle se rendormit. Son corps cette fois s’affala
complètement et sa tête pencha de côté. Tom dut soutenir le bébé pour
l’empêcher de tomber.
Ils
restèrent ainsi un long moment. Le bébé finit par se réveiller et par se mettre
à pleurer. Agnès ne réagit pas. Les pleurs éveillèrent Alfred qui se retourna
pour regarder son petit frère.
Tom secoua
doucement Agnès. « Réveille-toi, dit-il. Il faut nourrir le bébé.
— Père !
fit Alfred, affolé. Regarde son visage ! »
La panique
submergea Tom. Elle avait trop saigné. « Agnès ! dit-il.
Réveille-toi ! » Pas de réaction. Elle était inconsciente. Il se
redressa et l’allongea sur le sol. Son visage était d’une mortelle pâleur.
Redoutant
ce qu’il allait voir, il écarta les plis du manteau à la hauteur des cuisses.
Il y avait
du sang absolument partout. Alfred eut un haut-le-cœur et tourna la tête.
« Jésus-Christ,
protégez-nous », murmura Tom.
Réveillée
à son tour, Martha vit le sang et se mit à hurler. Tom la prit, la gifla. Elle
se tut. « Ne crie pas », dit-il calmement.
« Maman
est en train de mourir ? » demanda Alfred.
Tom posa
la main sous la poitrine d’Agnès, juste sous le sein gauche. Le cœur ne battait
plus.
Plus du
tout.
Il pressa
plus fort. Sa chair était tiède, mais elle ne respirait plus.
Un froid
terrible enveloppa Tom comme un brouillard. Il regarda longuement sa femme.
Comment pouvait-elle ne plus être là ? Il voulait la voir bouger, ouvrir
les yeux, respirer. Il gardait la main sur sa poitrine. Les gens disaient qu’un
cœur parfois pouvait repartir… Mais elle avait perdu tant de sang…
Il se
tourna vers Alfred. « Ta mère est morte », murmura-t-il.
Alfred ne
parut pas comprendre. Martha se mit à pleurer. Le nouveau-né pleurait aussi. Il
faut que je m’occupe d’eux, songea Tom. Il faut que je sois fort pour eux.
Mais il
aurait voulu pleurer, prendre Agnès dans ses bras et serrer contre lui ce corps
qui se refroidissait et se souvenir d’elle quand elle était jeune, qu’elle
riait et qu’ils faisaient l’amour. Il aurait voulu sangloter de rage et secouer
le poing vers le ciel impitoyable. Mais il fallait se maîtriser, il devait être
fort pour les enfants.
Pas une
larme ne lui vint aux yeux.
Qu’est-ce
que je commence par faire ? se demanda-t-il.
Creuser
une tombe.
Il faut
que je creuse un trou profond et que je la dépose là, pour la protéger des
loups et sauvegarder ses ossements jusqu’au jour du jugement ; et puis
dire une prière pour son âme. O Agnès, pourquoi m’as-tu laissé tout seul ?
Le bébé
pleurait toujours. Il réclamait à manger. Les seins d’Agnès étaient pleins de
lait tiède. Pourquoi pas ? se dit Tom. Il approcha le bébé de son sein. L’enfant
trouva un bouton et se mit à téter. Tom drapa le manteau d’Agnès autour du
bébé.
Martha
regardait avec de grands yeux en suçant son pouce. Tom lui
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