Les Piliers de la Terre
de toute la journée du
lendemain. Cela voulait dire pas de sage-femme. Tom allait devoir mettre le
bébé au monde lui-même, dans le froid, avec seulement les enfants pour l’aider
et, si quoi que ce soit tournait mal, il n’avait pas de médicaments, aucune
connaissance…
C’est ma
faute, se dit Tom ; je lui ai fait un enfant et je l’ai entraînée dans la
misère. Elle comptait sur moi pour subvenir à ses besoins et voilà qu’elle va
accoucher en plein air au milieu de l’hiver. Il avait toujours méprisé les
hommes qui engendraient les enfants et les laissaient mourir de faim ; et
voilà qu’il ne valait pas mieux qu’eux. Il était honteux.
« Je
suis si lasse, dit Agnès. Je ne crois pas que je puisse mettre ce bébé au
monde. J’ai envie de me reposer. » A la lueur du feu, son visage brillait
d’une mince couche de sueur.
Tom
comprit qu’il devait se ressaisir. « Je vais t’aider », dit-il. Il
avait assisté à la naissance de plusieurs enfants. C’étaient généralement des
femmes qui assistaient l’accouchée, car elles savaient ce qu’elle ressentait,
mais, aussi bien, un homme pouvait les remplacer en cas de nécessité. Il
fallait d’abord installer la mère confortablement ; puis voir à quel stade
en était le travail ; faire ensuite les préparatifs appropriés ; puis
la calmer et la rassurer pendant qu’ils attendaient.
« Comment
te sens-tu ? lui demanda-t-il.
— J’ai
froid, répondit-elle.
— Viens
plus près du feu », dit-il. Il ôta son manteau et retendit sur le sol à
deux pas du foyer. Agnès essaya de se mettre debout. Tom la souleva sans effort
et la reposa doucement sur le manteau.
Il
s’agenouilla auprès d’elle. La tunique de laine qu’elle portait avait des
boutons sur tout le devant. Il en défit deux et glissa ses mains à l’intérieur.
Agnès sursauta.
« Ça
fait mal ? demanda-t-il, surpris et inquiet.
— Non,
dit-elle avec un bref sourire. Mais tu as les mains froides. »
Il tâta le
contour de son ventre. En pressant un peu, il sentit la forme vague du bébé à
naître. « Je peux sentir son derrière, dit-il, mais pas sa tête.
— C’est
parce qu’il est en chemin », dit-elle.
Il
l’enveloppa dans le manteau. Il allait devoir faire vite. Il regarda les
enfants. Martha reniflait. Alfred avait l’air effrayé. Il fallait leur donner
quelque chose à faire.
« Alfred,
va jusqu’au ruisseau avec cette marmite. Lave-la bien et rapporte-la pleine
d’eau fraîche. Martha, cueille-moi des roseaux et tresse-moi deux longueurs de
corde, chacune assez grande pour un collier. Vite, maintenant. D’ici le jour,
vous allez avoir un autre frère ou une autre sœur. »
Ils
partirent. Tom prit son couteau et une petite pierre dure et se mit à aiguiser
la lame. Agnès poussa un nouveau gémissement. Tom reposa son couteau et lui
prit la main.
Il était
resté ainsi avec elle à la naissance des autres : Alfred ; puis
Mathilda, qui était morte au bout de deux ans ; et puis Martha ; et
l’enfant mort-né, un garçon que Tom avait secrètement prévu d’appeler Harold.
Mais chaque fois il y avait eu quelqu’un d’autre pour l’aider et la
rassurer : la mère d’Agnès pour Alfred, une sage-femme de village pour
Mathilda et pour Harold, et pour Martha la dame du manoir, pas moins. Cette
fois, il serait seul. Pourtant il ne devait pas montrer son anxiété : il
fallait qu’elle se sente heureuse et confiante.
Le spasme
passa et elle se détendit. « Tu te souviens, dit Tom, quand Martha est née
et que lady Isabella a fait office de sage-femme ?
— Tu
bâtissais une chapelle pour le Seigneur, dit Agnès en souriant, et tu lui as
demandé d’envoyer sa servante chercher la sage-femme du village…
— Et
elle a dit : Cette vieille sorcière qui boit ? Je ne la laisserais
pas mettre au monde une portée de chiens-loups ! Elle nous a emmenés dans
sa propre chambre et lord Robert n’a pas pu se coucher avant que Martha soit
née.
— C’était
une brave femme.
— Il
n’y a pas beaucoup de grandes dames comme elle. » Alfred revint avec la
marmite pleine d’eau froide. Tom la posa près du feu pour la faire tiédir.
Agnès fouilla sous son manteau et lui tendit un petit sac de toile contenant
des chiffons propres qu’elle avait préparés.
Martha
revint, les bras chargés de roseaux, et s’assit par terre pour les tresser.
« Pourquoi as-tu besoin de cordes ?
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