Les Piliers de la Terre
Jack se mit à réfléchir sur la leçon à tirer
de cette étrange scène.
Josef
interrompit sa rêverie. « Quelles belles filles, toutes les
deux ! » dit-il avec un clin d’œil complice.
Jack hocha
la tête d’un air absent et, en compagnie de Josef, se dirigea vers la grille. A
peine passaient-ils sous l’arche qu’un serviteur jaillit de l’ombre et
verrouilla la porte derrière eux.
« L’ennui,
quand on est seulement fiancé, dit Josef en riant grossièrement, c’est qu’on a
mal quelque part. » Jack ne répondit pas. « Je vais aller chez Fatima
pour arranger ça. » Jack connaissait de réputation le bordel de Fatima où,
malgré le nom sarrasin, presque toutes les filles avaient la peau claire. Les
rares prostituées arabes étaient très chères. « Tu veux venir ?
proposa Josef.
— Non,
répondit Jack. C’est ailleurs que j’ai mal. Bonne nuit. » Il s’éloigna
rapidement. Josef n’était pas habituellement son compagnon favori et ce soir,
en plus, Jack se trouvait d’humeur peu indulgente.
L’air
frais de la nuit lui fit du bien tandis qu’il regagnait le collège où
l’attendait un lit dur dans le dortoir. Il abordait un tournant important de
son existence, il s’en rendait compte. On lui offrait une vie d’aisance et de
prospérité, à deux conditions : oublier Aliena et renoncer à son rêve de
bâtir la plus belle cathédrale du monde.
Cette
nuit-là, il vit Aïcha venir à lui, nue, luisante d’huile parfumée. Elle se
caressait contre lui mais se dérobait chaque fois qu’il tentait de l’enlacer.
Lorsqu’il
s’éveilla, sa décision était prise.
Les
serviteurs refusèrent de laisser entrer Aliena dans la maison de Rachid
al-Haroun. Sans doute la prenaient-ils pour une mendiante, se dit-elle en
attendant à la porte, avec sa tunique poussiéreuse, ses bottes usées et son
bébé dans les bras. « Dites à Rachid al-Haroun que je cherche son ami Jack
Jackson d’Angleterre », demanda-t-elle en français. Les serviteurs à la
peau brune comprendraient-ils un seul mot ? Après s’être consultés à
mi-voix dans leur langue, un des serviteurs, un grand gaillard aux cheveux
comme la toison d’un mouton noir, la fit entrer dans la maison.
Aliena
attendit nerveusement sous le regard des autres domestiques qui la
dévisageaient sans vergogne. Cet interminable pèlerinage ne lui avait pas
encore appris la patience. Après l’échec subi à Compostelle, elle avait pénétré
dans l’intérieur de l’Espagne jusqu’à Salamanque. Personne là-bas ne se
souvenait d’un jeune homme aux cheveux roux qui s’intéressait aux cathédrales
et aux troubadours, mais un moine charitable l’avait informée de l’existence, à
Tolède, d’une communauté d’érudits anglais. Faible espoir… Mais Tolède n’était
pas très loin, aussi reprit-elle la route.
Une autre
déception l’y attendait. Oui, Jack était bien venu ici – elle sentit l’espoir
renaître – mais, hélas, il était déjà parti. Décidément, il lui glissait entre
les mains comme un furet ! Pourtant, il n’avait plus qu’un mois d’avance
sur elle. Une fois de plus, personne ne savait où il était allé.
De
Compostelle, elle était sûre qu’il s’était dirigé vers le sud, puisqu’il n’y
avait pas d’autre possibilité. D’ici, malheureusement, on pouvait partir dans
tous les sens : vers le nord-est, pour retourner en France ; vers
l’ouest, pour gagner le Portugal ; vers le sud, en direction de Grenade
où, de la côte espagnole, il pouvait s’embarquer pour Rome, Tunis, Alexandrie
ou Beyrouth.
Aliena
avait résolu d’abandonner ses recherches si elle ne trouvait pas une indication
sérieuse qui lui serve de début de piste. Elle était épuisée et si loin de chez
elle ! A bout de courage et de forces, elle n’envisageait plus de
continuer sa course sans autre espoir de réussite que le hasard. Elle était
prête à regagner l’Angleterre en essayant d’oublier Jack pour toujours.
Un nouveau
serviteur sortit de la maison blanche : il portait une tenue plus élégante
et parlait français. Il regarda Aliena avec méfiance, mais s’adressa à elle de
façon courtoise. « Vous êtes une amie de monsieur Jack ?
— Oui,
je viens d’Angleterre. J’aimerais parler à Rachid al-Haroun. »
Le
domestique jeta un coup d’œil au bébé.
« Je
suis une parente de Jack », expliqua Aliena. Ce n’était pas tout à fait
faux : elle était la
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