Les Piliers de la Terre
à la
porte. Aliena entendit des pas précipités. Elle se retourna pour apercevoir la
plus jeune des filles accourant vers elle. Elle s’arrêta et attendit. Le
domestique paraissait mal à l’aise.
La jeune
fille était petite et svelte, très jolie, avec une peau dorée et des yeux bruns
presque noirs. Elle portait une robe blanche auprès de laquelle Aliena se
sentit sale et poussiéreuse. « Vous l’aimez ? » murmura-t-elle
avec un fort accent.
Aliena
hésita. Elle comprit qu’elle n’avait plus rien à perdre. « Oui,
avoua-t-elle, je l’aime.
— Est-ce
qu’il vous aime ? »
Aliena
s’apprêtait à répondre oui ; puis elle se rendit compte qu’elle n’avait
pas revu Jack depuis plus d’un an. « Il m’aimait, murmura-t-elle.
— Je
crois qu’il vous aime encore, reprit la jeune fille.
— Qu’est-ce
qui vous fait croire cela ? »
Les yeux
de la fille s’emplirent de larmes. « Je le voulais pour moi. Et j’ai
presque failli l’avoir. » Elle regarda le bébé. « Les cheveux roux et
les yeux bleus. » Des larmes coulèrent sur ses joues brunes et lisses.
Aliena
comprit enfin la raison de l’hostilité avec laquelle on l’avait accueillie. La
mère voulait que Jack épouse sa fille. Celle-ci avait sans doute tout juste
seize ans, mais tant de sensualité qu’elle était déjà femme. Aliena se demanda
ce qui s’était passé exactement entre eux. « Vous avez « presque
failli » l’avoir ? répéta-t-elle.
— Oui,
répliqua la fille d’un ton de défi. Je sais qu’il m’aimait bien. J’ai eu le
cœur brisé lorsqu’il est parti. Maintenant, je comprends. » Elle perdit sa
contenance et le chagrin assombrit son ravissant visage.
Aliena,
prise de sympathie pour cette jeune fille qui avait aimé Jack sans retour posa
la main sur son épaule, dans un geste de réconfort. Mais elle avait mieux à
faire que de s’apitoyer. « Écoutez, reprit-elle d’un ton pressant.
Savez-vous où il est allé ? »
L’autre
leva les yeux et hocha la tête en sanglotant.
« Dites-le-moi,
je vous en prie !
— Paris,
lâcha l’autre.
— Paris ! »
Aliena jubilait. Elle avait retrouvé la piste ! Paris était loin, mais le
voyage lui ferait traverser un pays déjà familier. Elle se sentit toute
ragaillardie. Elle finirait par le trouver, à présent, elle n’en doutait plus.
« Vous
allez partir pour Paris aussi ? demanda la fille.
— Oh
oui ! répondit Aliena. Je suis venue jusqu’ici… je ne vais pas m’arrêter
maintenant. Merci de m’avoir renseignée… Merci beaucoup.
— Je
veux qu’il soit heureux », murmura la jeune Sarrasine simplement.
Le
serviteur commençait à s’agiter, craignant peut-être des ennuis. « Il n’a
rien dit d’autre ? demanda Aliena. Quelle route il allait choisir… quelque
chose qui pourrait m’aider ?
— Il
veut se rendre à Paris parce que quelqu’un lui a assuré qu’on bâtissait là-bas
de belles églises. »
Aliena
acquiesça. Elle aurait pu le deviner toute seule.
« Il
a emmené la dame qui pleure.
— La
dame qui pleure ? répéta Aliena sans comprendre.
— Mon
père lui a offert la dame qui pleure.
— Une
dame ? »
La jeune
fille secoua la tête. « Je ne connais pas les mots. Une dame. Elle pleure.
Des yeux.
— Vous
parlez d’un tableau ? Le portrait d’une dame ?
— Je
ne comprends pas », balbutia la fille. Elle jeta par-dessus son épaule un
regard inquiet. « Il faut que je parte. »
Quelle que
fût cette dame qui pleurait, cela n’avait pas l’air très important.
« Merci de m’avoir aidée », répéta Aliena.
La jeune
Sarrasine se pencha et posa un baiser sur le front du bébé. Ses larmes tombèrent
sur les joues rebondies du nourrisson. « Je voudrais être à votre
place », dit-elle à Aliena. Puis elle fit demi-tour et rentra en courant
dans la maison.
Jack
habitait rue de la Boucherie, dans un faubourg de Paris, situé sur la rive
gauche de la Seine. Dès le lever du jour, il sella son cheval. Au bout de la
rue, il tourna à droite et passa devant la tour de guet qui gardait le Petit
Pont, la passerelle conduisant à l’île de la Cité, au milieu du fleuve.
De chaque
côté, les maisons de bois s’avançaient sur le pont. Dans la brèche, au centre,
se trouvaient des bancs de pierre où, plus tard dans la matinée, de célèbres
professeurs tiendraient leurs classes en plein air. Jack s’engagea dans la
Juiverie, la
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