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Les Piliers de la Terre

Les Piliers de la Terre

Titel: Les Piliers de la Terre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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l’argent, il menaça de prendre la Madone de force ;
heureusement l’archevêque Théobald de Canterbury l’en empêcha. Séduit par les
possibilités financières de la statue, il entendait bien la voir partir pour
Kingsbridge, qui se trouvait dans son diocèse. Suger avait cédé de mauvaise grâce,
non sans exprimer de sérieux doutes sur l’authenticité du miracle.
    Jack avait
annoncé aux artisans de Saint-Denis qu’il engagerait ceux qui voudraient le
suivre jusqu’en Angleterre, ce qui ne convenait pas, là non plus, à Suger. La
plupart des artisans, en fait, préféraient rester où ils étaient, en vertu du
principe que mieux vaut tenir que courir ; mais certains, venus justement
d’Angleterre, étaient tentés de rentrer au pays. De plus la nouvelle se
répandrait, car c’était le devoir de chaque maçon d’informer ses frères de
l’ouverture des nouveaux chantiers. En quelques semaines, des artisans de toute
la chrétienté rejoindraient Kingsbridge, comme Jack lui-même avait travaillé
sur six ou sept chantiers différents au cours des deux dernières années. Aliena
souleva la question de savoir ce qu’il ferait si le prieuré de Kingsbridge ne
le nommait pas maître bâtisseur. Jack n’en avait aucune idée.
    L’archevêque
Théobald, ayant revendiqué pour l’Angleterre la Vierge qui pleure, refusa de
laisser Jack partir seul avec son trésor. Il avait désigné deux prêtres de son
entourage, Reynold et Edward, pour accompagner Jack et Aliena dans leur voyage.
Jack, au début, avait rechigné, mais il s’était vite pris d’amitié pour eux.
Reynold était un jeune homme à l’esprit vif qui s’intéressait beaucoup aux
mathématiques que Jack avait apprises à Tolède. Edward, plus âgé, affable,
était assez gourmand. Leur principale fonction était de s’assurer, bien sûr,
que les dons des fidèles ne finissaient pas dans la bourse de Jack.
    Ils quittèrent
Cherbourg par la route de Barfleur, où ils devaient s’embarquer pour Wareham.
Ils n’étaient pas encore arrivés au centre de la petite bourgade du bord de
mer, portant la statue sur un tréteau de bois pour l’exposer aux regards, que
Jack eut l’impression que quelque chose n’allait pas comme d’habitude.
    Les gens
ne contemplaient pas la Madone. Ils examinaient Jack.
    Les
prêtres à leur tour s’en aperçurent et Reynold murmura à Jack : « Que
se passe-t-il ?
    — Je
n’en sais rien.
    — Les
gens sont plus fascinés par vous que par la statue ! Vous êtes déjà venu
ici ?
    — Jamais. »
    Aliena
intervint : « Ce sont les plus vieux qui s’intéressent à Jack. Les
jeunes admirent la statue. »
    Elle avait
raison. Les enfants et les jeunes gens témoignaient pour la Madone d’une curiosité
normale. C’étaient les gens plus âgés qui tournaient leur attention vers Jack.
Bientôt, il constata qu’ils avaient peur. Quelqu’un fit même le signe de croix
devant lui. « Qu’est-ce qu’ils ont contre moi ? » se
demanda-t-il tout haut.
    La
procession, toutefois, attirait des badauds aussi sûrement que d’habitude et
elle arriva sur la place du marché suivie d’une foule imposante. On déposa la
Madone devant l’église. Les fidèles entrèrent dans le sanctuaire. D’ordinaire,
les membres du clergé venaient parler à Reynold et à Edward. Après les
explications d’usage, on transportait la statue à l’intérieur, où elle se
mettait à pleurer. La Madone ne leur avait fait défaut qu’une fois, un jour de
froid où Reynold avait insisté pour suivre la procédure habituelle en dépit des
avertissements de Jack. Maintenant on respectait son avis.
    Le temps,
aujourd’hui, était parfait. C’était autre chose qui n’allait pas. Une crainte
superstitieuse se lisait sur les visages tannés des marins et des pêcheurs. Les
gens restaient à distance, parlaient à voix basse en regardant Jack par en
dessous.
    Enfin le
prêtre apparut. Le plus souvent, les hommes d’Église manifestaient d’abord une
curiosité un peu méfiante, mais celui-ci se conduisit d’emblée comme un
exorciste, brandissant une croix devant lui en manière de bouclier et tenant
dans l’autre main un calice d’eau bénite. « Qu’est-ce qu’il compte
faire ? demanda Reynold. Chasser des démons ? » Le prêtre
s’avança, psalmodiant des phrases en latin, et s’approcha de Jack. Il dit en français :
« Je t’ordonne, esprit mauvais, de retourner avec les fantômes !

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