Les Piliers de la Terre
ne
savait plus quoi dire. Pourquoi le débat lui échappait-il alors qu’il l’avait
si bien mené jusqu’à présent ? Pierre enfonça le clou :
« Vingt-quatre pence par semaine », et plusieurs têtes approuvèrent.
Jack pensa
soudain que d’autres, comme lui, s’étaient préparés d’avance à la réunion.
Lançant à Dan un regard sévère, il interrogea : « Avez-vous déjà
discuté de tout cela ?
— Oui,
hier soir à la taverne, riposta Dan d’un ton de défi. Il y a du mal à
cela ?
— Certainement
pas. Mais pour ceux d’entre nous qui n’ont pas eu le privilège d’assister à
votre réunion, voudrais-tu en résumer les conclusions ?
— Entendu. »
Les hommes qui n’étaient pas à la taverne faisaient grise mine mais Dan ne se
démonta pas. Au moment où il ouvrait la bouche, le prieur Philip fit son
entrée, apparemment de bonne humeur. Il aperçut Jack et lui adressa un
hochement de tête presque imperceptible. Jack jubila intérieurement : les
moines avaient donc accepté le compromis ! Il allait empêcher Dan de
parler, mais il réagit une seconde trop tard. « Nous voulons vingt-quatre
pence par semaine pour les artisans, clama celui-ci. Douze pour les manœuvres
et quarante-huit pour les maîtres artisans. Voilà nos conclusions. »
La bonne
humeur de Philip disparut en un éclair. Son visage se rembrunit. « Un
instant, protesta Jack. Ce n’est pas l’avis de la loge. Il s’agit d’une demande
fantaisiste, préparée par un groupe d’ivrognes à la taverne.
— Non,
pas du tout, fit une voix nouvelle, celle d’Alfred. Tu vas t’apercevoir
rapidement que la plupart des artisans soutiennent la demande. »
Jack
l’aurait tué. « Il y a quelques mois, tu m’as supplié de te trouver du
travail, affirma-t-il. Voilà maintenant que tu réclames double salaire. Belle
récompense pour moi. J’aurais dû te laisser crever de faim !
— C’est
ce qui vous attend tous si vous refusez d’entendre raison ! »
intervint Philip.
Jack
aurait tout fait pour éviter ce genre de remarque, mais la situation le
dépassait complètement. Sa stratégie s’était effondrée.
« Nous
ne retournerons pas travailler, répéta Dan, pour moins de vingt-quatre pence,
un point c’est tout.
— Pas
question, répliqua Philip avec colère. Vous êtes inconséquents. Je ne veux même
pas en discuter.
— Nous
ne discuterons rien d’autre, déclara Dan. Nous ne travaillerons pas pour moins,
sous aucun prétexte. »
Quelle
inconscience ! pensa Jack. « Comment peux-tu prétendre que tu ne
travailleras pas pour moins ? Tu ne travailleras pas du tout, pauvre
idiot. Tu n’as nulle part où aller !
— Ah
non ? » fit Dan.
Le silence
tomba sur l’assistance.
Mon Dieu,
pensa Jack au désespoir. Ils ont un atout caché.
« Justement,
nous connaissons un autre endroit, déclara Dan ironiquement. Moi, j’y vais tout
de suite.
— De
quoi parles-tu ? » demanda Jack.
Dan
triomphait.
« On
m’a offert de travailler sur un nouveau chantier, à Shiring, celui de la
nouvelle église. Vingt-quatre pence par semaine pour les artisans. »
Jack,
glacé de surprise, regarda autour de lui. « Quelqu’un d’autre a-t-il eu la
même offre ? »
Les têtes
se baissèrent, honteuses.
« On
a fait la même proposition à tout le monde », répondit Dan.
Jack se
sentit vaincu. Un coup monté. On l’avait trahi. Il se sentait ridicule en même
temps que lésé. Il n’avait rien compris à la situation. L’humiliation se
transforma en colère, et il chercha du regard à qui s’en prendre. « Lequel
d’entre vous ? cria-t-il. Lequel d’entre vous est le traître ? Qui
vous a transmis cette offre de Shiring ? hurla-t-il encore. Qui est le
maître bâtisseur là-bas ? » Son regard se posa sur Alfred. Bien
sûr ! Jack eut une nausée de dégoût. « Alfred ? dit-il d’un ton
méprisant. Vous me quittez pour Alfred ? »
Il y eut
un grand silence, que Dan rompit le premier : « Oui. »
Jack
comprit qu’il avait perdu. « Ainsi soit-il, murmura-t-il d’un ton amer.
Vous me connaissez, et vous connaissez mon frère, et vous choisissez Alfred.
Vous connaissez le prieur Philip, vous connaissez le comte William, et vous
choisissez William. Tout ce que j’ai à vous dire, c’est que vous méritez ce qui
va vous arriver. »
III
« Raconte-moi
une histoire, demanda Aliena. Tu ne m’en racontes plus jamais. Tu te
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