Les Piliers de la Terre
mur nord de la ville et grimpèrent par l’échelle jusqu’au
parapet. On avait préparé à intervalles réguliers des tas de pierres. Des
habitants armés d’arcs et de flèches prenaient déjà position aux créneaux.
Depuis quelque temps, Richard avait persuadé la guilde de la ville d’organiser
une fois par an des exercices d’alerte. L’idée avait tout d’abord rencontré une
vive résistance, puis c’était devenu un rite, comme le spectacle du milieu de
l’été, et tout le monde adorait y participer. On en voyait aujourd’hui les
avantages : les habitants de Kingsbridge réagissaient avec promptitude et
assurance dès que l’alerte était donnée.
Aliena
jeta un regard inquiet jusqu’à la forêt, au-delà des champs. Rien.
« Vous
avez pris beaucoup d’avance sur eux, dit Richard.
— Pourquoi
choisissent-ils justement cette ville ? interrogea Aliena.
— A
cause des magasins du prieuré, dit Ellen. C’est le seul endroit, à des lieues à
la ronde, qui contienne encore des provisions.
— Bien
sûr, » Ces hors-la-loi étaient des gens affamés, dépouillés de leurs
terres par William, sans autre moyen d’existence que le vol. Dans les villages
sans défense, il y avait peu, sinon rien, à voler : les paysans n’étaient
guère mieux lotis que les hors-la-loi. Dans les granges des propriétaires, en
revanche, on trouvait encore des vivres en abondance.
Tout à
coup, elle les aperçut. Jaillissant du bord de la forêt comme des rats d’une
meule de foin, ils se répandirent à travers les champs. Ils étaient vingt,
trente, cinquante, cent, une petite armée. Sans doute avaient-ils espéré
franchir par surprise les portes de la ville, mais le tocsin leur avait fait
comprendre qu’on les avait devancés. Ils tentaient quand même l’attaque, avec
le désespoir des affamés. Quelques flèches partirent prématurément et Richard
dut intervenir : « Attendez ! Ne gaspillez pas vos
flèches ! »
La
dernière fois que Kingsbridge avait été attaquée, Tommy avait dix-huit mois, et
Aliena qui attendait Sally s’était réfugiée au prieuré, avec les vieillards et
les enfants. Cette fois, elle resterait sur les remparts pour défendre les
abords du prieuré. La plupart des autres femmes en faisaient autant. Elles
étaient presque aussi nombreuses sur les murs que les hommes.
Cependant,
Aliena n’était pas tranquille. Si les attaquants faisaient une percée d’un
autre côté et atteignaient le prieuré avant elle ? Et si elle était
blessée au combat ? Jack et Ellen risquaient leur vie aussi. En cas de
malheur, il ne resterait que Martha pour s’occuper de Tommy et de Sally. Aliena
hésitait.
Les
hors-la-loi étaient presque au bas des murs. Une pluie de flèches les
accueillit, que cette fois Richard encouragea.
Les
attaquants, sans armures, mal organisés, se comportaient comme des animaux
affolés, qui se ruent tête baissée contre un mur. Et là, ils devenaient de
parfaites cibles pour les habitants qui les bombardaient de pierres du haut des
remparts. Quelques-uns attaquèrent la porte nord à coups de gourdin. Pendant ce
temps, deux moines amenaient un chaudron d’eau bouillante sur la muraille
au-dessus de la porte.
En
contrebas de l’endroit où se trouvait Aliena, un groupe d’assaillants commença
à former une pyramide humaine. Jack et Richard répliquèrent aussitôt par un
bombardement de pierres. Aliena les imita et Ellen vint les rejoindre. Les
hors-la-loi supportèrent quelque temps la grêle de pierres, puis l’un d’eux fut
frappé à la tête, la pyramide s’écroula et ils renoncèrent.
Au même
instant, on entendit des hurlements de douleur provenant de la porte
nord : l’eau bouillante déversée sur la tête des attaquants faisait son
effet.
C’est
alors qu’un phénomène inattendu se produisit. Quelques brigands eurent l’idée
que leurs morts et leurs blessés constituaient une proie plus facile que la
ville de Kingsbridge et commencèrent à dépouiller les corps. Des rixes
éclatèrent, des pillards rivaux se disputant les possessions des cadavres.
Quelle boucherie, songea Aliena, quel spectacle répugnant, dégradant !
Elle se
tourna vers Richard. « Ils sont trop désorganisés pour représenter une
vraie menace, dit-elle.
— Ils
pourraient être très dangereux parce qu’ils sont désespérés, répondit son
frère, mais ils n’ont pas de commandement. »
Une pensée
frappa Aliena. « En somme, c’est
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