Les Piliers de la Terre
se
rembrunit. Le pessimisme n’était pas le genre de Philip – à moins qu’il n’eût
un bon motif. Elle le soupçonna de préparer le terrain pour quelque plan qu’il gardait
dans sa manche. Et pourquoi pas, songea-t-elle, l’histoire de la
carrière ?
« Mon
principal souci, expliquait Philip, c’est le roi. En refusant de répondre à
l’accusation, tu défies la couronne. Voilà un an, je t’aurais dit : vas-y,
défie-la. Maintenant que la guerre est finie, ce ne sera plus aussi facile pour
les comtes d’en faire à leur tête.
— J’ai
l’impression, intervint Jack, que tu dois répondre à l’accusation, Richard.
— Surtout
pas, protesta Aliena. Il n’a aucun espoir.
— Elle
a raison, approuva Philip. L’affaire serait jugée devant le tribunal royal. Les
faits sont déjà connus : Alfred a essayé de prendre Aliena de force,
Richard est arrivé, ils se sont battus et Richard a tué Alfred. Tout dépend de
l’interprétation. William, fidèle partisan du roi Stephen, déposant plainte,
Richard, un des plus fidèles alliés du duc Henry, sera sans doute reconnu
coupable. Pourquoi le roi Stephen a-t-il signé le décret ? Sans doute
parce qu’il a décidé de se venger de Richard qui l’a combattu. La mort d’Alfred
lui fournit un prétexte parfait.
— Il
faut demander au duc Henry d’intervenir », suggéra Aliena.
Ce fut à
Richard d’objecter : « Je ne peux pas compter sur lui, car il réside
en Normandie. Qu’il écrive une lettre de protestation, à quoi cela m’avancerait-il ?
Bien sûr, il pourrait traverser la Manche avec une armée, mais du coup il
violerait le traité de paix. Je ne pense pas qu’il prenne ce risque-là pour
moi. »
Aliena ne
savait plus à quel saint se vouer. « Oh ! Richard, te voilà pris dans
un piège terrible, tout cela parce que tu m’as sauvée.
— Je
le ferais encore, déclara-t-il avec son plus charmant sourire.
— Je
le sais bien. » Elle le pensait. Malgré tous ses défauts, il était brave.
Ce problème insoluble qui l’accablait juste après qu’il eut reconquis ses
terres, c’était injuste. Dans son rôle de comte, il décevait Aliena, il la
décevait terriblement. Mais il ne méritait pas cela.
« Eh
bien, reprit-il, je n’ai guère de choix ! Soit je reste au prieuré jusqu’à
ce que le duc Henry devienne roi, soit je suis pendu pour meurtre. Je me ferais
bien moine si les moines ne mangeaient pas tant de poisson !
— Il
y a peut-être une autre solution », dit Philip.
Aliena le
regarda. Elle se doutait qu’il avait un plan. S’il pouvait résoudre les
difficultés de Richard, elle lui en serait reconnaissante à jamais.
« Tu
pourrais faire une pénitence, continua Philip.
— Manger
du poisson, peut-être ? » répliqua Richard avec insolence.
Philip ne
releva pas.
« Je
pense à la Terre sainte », dit-il.
Le silence
tomba dans la pièce. La Palestine était gouvernée par le roi de Jérusalem,
Baudouin III, un chrétien d’origine française, sans cesse attaqué par les
pays musulmans voisins, notamment l’Egypte au sud et Damas à l’est. Un voyage
de six mois à un an, l’engagement dans les rangs des années défendant le
royaume chrétien, voilà le genre de pénitence qui laverait l’âme d’un
meurtrier. Aliena ne se sentit guère soulagée : on ne revenait pas
toujours de Terre sainte. Pendant des années elle avait tremblé pour Richard.
La Terre sainte n’était sans doute pas plus dangereuse que l’Angleterre. Elle
rongerait son frein un peu plus longtemps.
« Le
roi de Jérusalem a toujours besoin d’hommes », en effet, dit enfin
Richard. Régulièrement, des émissaires du pape faisaient le tour du pays, évoquant
les batailles et la gloire qu’on gagnait à défendre la chrétienté, s’efforçant d’inspirer chez les jeunes l’enthousiasme sacré. « Mais je viens à peine de retrouver
mon comté, poursuivit-il. Qui s’occupera de mes terres pendant mon
absence ?
— Aliena »,
dit Philip.
Aliena
n’en crut pas ses oreilles. Philip proposait qu’elle prenne la place du comte
et gouverne comme l’avait fait son père… La proposition la laissa un moment
abasourdie, mais dès qu’elle eut repris ses esprits, elle sut qu’il avait raison.
Quand un homme partait pour la Terre sainte, c’était généralement sa femme qui
s’occupait du domaine. Il n’y avait pas de raison pour qu’une sœur ne remplît
pas le même rôle. Elle
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