Les Piliers de la Terre
main, pour surveiller d’un
œil mauvais les intrus. Aliena demanda à Martha d’emmener les enfants à la
maison ; Jack et elle restèrent avec les maçons.
Le prieur
Philip apparut à la porte de la cuisine. Il était plus petit que William et,
dans son léger habit d’été, il semblait bien frêle auprès du grand gaillard à
cheval, revêtu de sa cotte de mailles : mais il y avait sur le visage de
Philip une expression qui le rendait beaucoup plus impressionnant que William.
« Vous
abritez un fugitif…, commença celui-ci.
— Sortez
d’ici ! » interrompit Philip d’une voix glaciale.
William
insista. « Il y a eu un meurtre…
— Sortez
de mon prieuré ! cria Philip.
— Je
suis le shérif…
— Le
roi lui-même ne peut amener des fauteurs de violence dans l’enceinte d’un
monastère ! Sortez ! »
Les maçons
commençaient à murmurer entre eux. Les hommes d’armes les regardaient
nerveusement. « Comme tout le monde, reprit William, le prieur de
Kingsbridge doit répondre au shérif.
— Pas
dans ces conditions ! Faites évacuer vos hommes ! Laissez vos armes à
l’écurie. Lorsque vous serez prêt à vous comporter comme un humble pécheur dans
la maison de Dieu, vous pourrez entrer au prieuré ; alors le prieur
répondra à vos questions. »
Philip
rentra dans la cuisine et claqua la porte.
Les
bâtisseurs l’acclamèrent.
Aliena eut
envie de les imiter. Depuis toujours, William représentait pour elle une image
de puissance et de terreur. De le voir défié par le prieur Philip remplissait
de joie.
Mais
William ne s’avouait pas vaincu. Il descendit de son cheval. Lentement, il
dégrafa son ceinturon et le tendit à l’un de ses hommes. Il leur adressa à voix
basse quelques mots et ils se retirèrent, emportant son épée. William frappa de
nouveau à la porte de la cuisine.
« Ouvrez
au shérif ! » cria-t-il.
Philip
réapparut. Il toisa William qui se tenait maintenant désarmé dans la
cour ; puis il regarda les hommes d’armes groupés autour de l’entrée, au
fond de l’enclos. « Eh bien ? demanda-t-il.
— Vous
hébergez un meurtrier au prieuré. Livrez-le-moi.
— Il
n’y a pas eu de meurtre à Kingsbridge, répondit Philip.
— Le
comte de Shiring a tué, voilà quatre jours, Alfred le bâtisseur.
— Faux,
riposta Philip. Richard a bien tué Alfred, mais ce n’était pas un meurtre.
Alfred a été surpris en pleine tentative de viol. »
Aliena
frissonna.
« De
viol ? dit William. Qui a-t-il tenté de violer ?
— Aliena.
— Mais
elle est sa femme ! s’exclama William, triomphant. Comment un homme
peut-il violer sa femme ? »
Aliena
voyait la direction que prenait l’argumentation de William et la fureur
bouillait en elle.
« Ce
mariage, poursuivit Philip, n’a jamais été consommé, elle en a demandé
l’annulation.
— Qui
ne lui a jamais été accordée. Le couple a été marié à l’église. Il l’est
toujours, d’après la loi. Il n’y a pas eu viol. Au contraire. »
William se
retourna brusquement et désigna Aliena du doigt. « Voilà des années
qu’elle cherche à se débarrasser de son mari et elle a fini par convaincre son
frère de l’aider à le faire, en le poignardant à mort avec sa dague à
elle ! »
La main
glacée de la peur serrait le cœur d’Aliena. L’histoire qu’on venait d’entendre
était un abominable mensonge, mais pour quelqu’un qui n’avait pas vraiment vu
ce qui s’était passé, elle collait aux faits de façon aussi plausible que la
vérité. Richard se trouvait dans un mauvais pas.
« Le
shérif, continua Philip, ne peut pas arrêter le comte. »
C’est
vrai, se dit Aliena. Elle avait oublié ce point.
William
tira un rouleau de parchemin de sa poche. « J’ai un décret royal. Je
l’arrête au nom du roi. »
Aliena
reçut un coup au cœur. Décidément, William avait pensé à tout. « Comment
a-t-il réussi ce tour de force ? murmura-t-elle.
— Il
a été très rapide, répondit Jack. Il a dû galoper jusqu’à Winchester dès qu’il
a appris la nouvelle. »
Philip
tendit la main. « Montrez-moi ce décret. »
William le
lui tendit. Ils étaient éloignés de quelques toises l’un de l’autre. Il y eut
une brève hésitation, car aucun des deux ne voulait bouger ; puis William
céda et fit quelques pas pour remettre le parchemin à Philip.
Le prieur
le lut et le rendit. « Cela ne vous donne pas le droit d’attaquer
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