Les Piliers de la Terre
pour agir.
« Où
habite-t-il ? dit Francis.
— A
un jour et demi d’ici.
— Tu
ferais mieux de partir aujourd’hui.
— Oui »,
dit Philip, le cœur lourd.
Francis
paraissait plein de remords. « Je regrette qu’il n’y ait personne d’autre.
— Moi
aussi, dit Philip avec conviction. Moi aussi. » Philip convoqua les moines
dans la petite chapelle et leur annonça que le roi était mort. « Nous
devons prier pour une succession paisible et un nouveau roi qui aimera l’Église
plus que le défunt Henry », déclara-t-il. Mais il ne leur dit pas que la
clé d’une succession paisible venait par hasard de tomber entre ses mains. Il
ajouta seulement : « D’autres nouvelles m’obligent à rendre visite à
notre maison mère de Kings-bridge. Je dois partir sans tarder. »
Le
sous-prieur célébrerait les offices et le cellérier ferait marcher la ferme,
mais ni l’un ni l’autre n’étaient de taille à affronter Peter de Wareham, et
Philip craignait que, s’il s’absentait trop longtemps, Peter n’allât causer
tant de trouble qu’il n’y aurait plus de monastère à son retour. Il n’avait pas
pu imaginer un moyen de contrôler Peter sans blesser son amour-propre et il
n’avait plus le temps maintenant, aussi devait-il faire du mieux qu’il pouvait.
« Au
début de la journée, dit-il après un silence, nous avons parlé de gourmandise.
Frère Peter mérite nos remerciements pour nous avoir rappelé que, lorsque Dieu
bénit notre ferme et nous donne la richesse, ce n’est pas pour que nous nous
vautrions grassement dans le confort, mais pour sa plus grande gloire. Cela
fait partie de notre saint devoir que de partager nos richesses avec les
pauvres. Jusqu’à maintenant, nous avons négligé ce devoir, surtout parce qu’ici
dans la forêt nous n’avons personne avec qui partager. Frère Peter nous a
rappelé que c’est notre devoir d’aller à la recherche des pauvres de façon à
pouvoir soulager leur misère. »
Les moines
s’étonnèrent : ils s’étaient imaginé que le sujet de la gourmandise était
clos. Peter lui-même semblait hésitant. Il était ravi de se retrouver au centre
de l’attention générale, mais il se méfiait de ce que Philip pouvait cacher
dans sa manche – et il n’avait pas tort.
« J’ai
décidé, reprit Philip, que chaque semaine nous donnerions aux pauvres un penny
pour chaque moine de notre communauté. Si cela veut dire que nous devons tous
manger un peu moins, nous nous réjouirons en songeant à notre récompense céleste.
Plus important encore, nous devons nous assurer que nos pennies seront bien
dépensés. Quand on donne un penny à un autre pour acheter du pain pour sa
famille, il risque fort d’aller droit à la taverne et s’enivrer, puis rentrer
chez lui et battre sa femme, qui se serait donc mieux trouvée sans notre
charité. Mieux vaut lui donner directement le pain ; mieux vaut même le
donner à ses enfants. Faire l’aumône est une tâche sacrée qu’il faut accomplir
avec la même diligence que le soin des malades ou l’éducation des jeunes. Pour
cette raison, de nombreux établissements monastiques désignent un aumônier
responsable de la distribution des aumônes. Nous allons faire de même. »
Philip
regarda autour de lui. Ils étaient tous en alerte, intéressés. Peter arborait
un air satisfait, ayant évidemment conclu que c’était là une victoire pour lui.
Personne ne s’attendait à ce qui allait se passer.
« Le
travail d’un aumônier est dur. Il lui faudra aller à pied jusqu’aux villes et
aux villages les plus proches, et fréquemment jusqu’à Winchester. Là, il se
mêlera aux classes les plus misérables, les plus sales, les plus laides et les
plus perverses, car c’est ainsi que sont les pauvres. Il devra prier pour eux
quand ils blasphémeront, leur rendre visite quand ils seront malades et leur
pardonner quand ils essaieront de le tromper et de le voler. Il aura besoin de
force, d’humilité et d’une patience sans fin. Il regrettera le confort de cette
communauté, car il sera plus souvent en chemin qu’avec nous. »
Il
parcourut une nouvelle fois des yeux l’assemblée des moines. Ils étaient
maintenant sur leurs gardes, car aucun d’eux ne voulait de cette tâche. Il
laissa son regard s’arrêter sur Peter de Wareham. Peter comprit ce qui se
passait et se décomposa.
« C’est
Peter qui a attiré notre attention sur nos lacunes dans ce domaine, dit
Weitere Kostenlose Bücher