Les Piliers de la Terre
pour qu’il la guide et la conseille que, même sans en
avoir le titre, il sera roi.
— Va-t-il
tenter quelque chose ?
— J’en
ai bien peur. » Francis baissa la voix, quoi qu’il n’y eût personne à
proximité. « Robert et Bartholomew, avec Maud et son mari, s’apprêtent à
fomenter une rébellion. Ils projettent de renverser Stephen et de placer Maud
sur le trône. »
Philip
s’arrêta. « Ce qui déferait tout ce qu’a obtenu l’évêque de
Winchester ! » Il étreignit le bras de son frère. « Mais,
Francis…
— Je
sais ce que tu penses. » Perdant soudain toute son assurance, Philip
semblait inquiet et effrayé. « Si le comte Robert savait que je t’ai
seulement parlé, il me ferait pendre. Il a en moi une confiance totale.
Cependant mon ultime loyauté est envers l’Église : il le faut.
— Alors,
que peux-tu faire ?
— J’ai
songé à demander une audience au nouveau roi et à tout lui raconter.
Naturellement, les deux comtes rebelles nieraient tout, et je serais pendu pour
trahison ; mais la rébellion serait étouffée et j’irais au ciel. »
Philip
secoua la tête. « On nous enseigne qu’il est vain de rechercher le
martyre.
— Et
je crois que Dieu a d’autres missions à me confier ici sur la terre. J’occupe
un poste de confiance dans la maison d’un grand baron et, si je reste là et
qu’au prix d’un dur travail je progresse, je pourrais faire avancer beaucoup
les droits de l’Église et le règne de l’ordre.
— Y
a-t-il une autre façon… ? »
Francis
regarda Philip dans les yeux. « C’est pourquoi je suis ici. » Philip
se sentit frissonner de peur. Manifestement Francis allait lui demander de se
compromettre. Aucune autre raison ne justifiait qu’il lui révélât ce terrible
secret.
« Moi,
reprit Francis, je ne peux pas trahir la rébellion, mais toi, tu le peux.
— Jésus
Christ, dit Philip, et tous les saints, protégez-moi.
— Si
le complot est démasqué ici, dans le Sud, aucun soupçon ne tombera sur la
maison des Gloucester. Personne ne sait que je suis venu te voir, personne ne
sait même que tu es mon frère. Tu pourras concevoir une explication plausible
pour justifier l’origine de tes renseignements : tu as pu voir des hommes
d’armes se rassembler, ou bien quelqu’un de la maison du comte Bartholomew aura
révélé le complot en confessant ses péchés à un prêtre que tu connais. »
Philip
serra son manteau autour de lui. Il semblait soudain faire plus froid.
L’affaire était dangereuse, très dangereuse. Se mêler de politique royale
conduisait régulièrement à leur perte des pratiquants expérimentés. Quelqu’un
d’aussi peu informé que Philip serait fou de se lancer dans pareille aventure.
Mais les
enjeux étaient si grands. Philip ne pouvait pas rester immobile devant une
rébellion contre un roi choisi par l’Eglise, pas quand il avait l’occasion de
l’empêcher. Et, si dangereux que ce fût pour Philip, il serait suicidaire pour
Francis de dénoncer le complot.
« Quel
est le plan des rebelles ? demanda Philip.
— Le
comte Bartholomew rentre en ce moment même à Shiring. De là, il enverra des
messages à ses partisans dans tout le sud de l’Angleterre. Le comte Robert
arrivera à Gloucester un jour ou deux plus tard et rassemblera ses forces dans
l’Ouest. Enfin, le comte Brian Fitz, qui tient le château de Wallingford, en
fermera les portes ; et tout le sud-ouest de l’Angleterre tombera sans
combat aux mains des rebelles.
— Alors
il est presque trop tard ! s’écria Philip.
— Pas
vraiment. Nous avons à peu près une semaine. Mais tu vas devoir agir
vite. »
Le cœur
défaillant Philip se rendit compte qu’il avait plus ou moins déjà pris sa
décision. « Je ne sais pas à qui parler, dit-il. Normalement, on
s’adresserait au comte, mais dans ce cas, c’est lui le coupable. Le prévôt est
sans doute de son côté. Il va falloir trouver quelqu’un dont nous soyons sûr qu’il
est dans notre camp.
— Le
prieur de Kings-bridge ?
— Mon
prieur est vieux et fatigué. Selon toute probabilité, il ne ferait rien.
— Il
doit bien y avoir quelqu’un.
— Il
y a l’évêque. » Philip en fait n’avait jamais parlé à l’évêque de
Kings-bridge, mais il recevrait sûrement Philip et l’écouterait. Il se
rangerait très certainement aux côtés de Stephen, car celui-ci était le choix
de l’Église ; et il était assez puissant
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