Les Piliers de la Terre
un péché qu’il n’aurait pas confessé, une femme
regrettée ou un tort causé à un innocent. De toute façon il n’en parlerait plus
désormais jusqu’au jour du jugement.
Malgré sa
résolution, Philip ne pouvait empêcher son esprit de se tourner vers l’avenir.
Le prieur James, indécis, anxieux et sans caractère, avait posé sur le
monastère une main morte. Allait apparaître à présent quelqu’un de nouveau,
quelqu’un qui saurait discipliner les serviteurs paresseux, réparer l’église en
ruine et mettre de l’ordre dans la grande richesse que représentait la
propriété, pour faire du prieuré une puissante force au service du bien. Philip
était trop excité pour rester immobile. Il se releva d’un pas plus léger
jusqu’au chœur pour prendre une place vide dans une des stalles.
Le service
était célébré par le sacristain, Andrew de York, un homme irascible et
congestionné qui semblait constamment au bord de l’apoplexie. Il faisait partie
des obédienciers, haut placés dans la hiérarchie du monastère. Sa
responsabilité s’étendait aux services, aux livres, aux reliques, aux vêtements
sacerdotaux, aux ornements et à tout ce qui concernait l’essentiel du bâtiment.
Sous ses ordres travaillaient un chantre responsable de la musique et un
trésorier responsable des chandeliers d’or et d’argent, des calices et autres
vases sacrés. Le sacristain n’avait au-dessus de lui que le prieur et le
sous-prieur, Remigius, un grand ami d’Andrew.
Andrew
lisait la messe de son ton habituel de colère à peine maîtrisée. Philip, dont
l’esprit était fort agité, mit quelque temps avant de remarquer que l’office ne
se déroulait pas de façon convenable. Un groupe de jeunes moines bavardait et riait
bruyamment. Philip vit qu’ils se moquaient du vieux maître des novices, qui
s’était endormi à sa place. Les jeunes moines – dont la plupart étaient encore
récemment des novices sous la tutelle du vieux maître, et dont la peau cuisait
encore des coups de sa férule – lui lançaient des boulettes de terre. Chaque
fois que l’une touchait son visage, il sursautait, mais sans se réveiller.
Andrew, apparemment, ne s’apercevait pas de ce qui se passait. Philip chercha
des yeux le prévôt, le moine responsable de la discipline. Celui-ci était à
l’autre bout du chœur, en grande conversation avec un autre moine, sans prêter
la moindre attention à l’office ni au comportement des plus jeunes.
Philip
observa encore un moment la scène. Même de bonne humeur, il n’avait aucune
patience pour ce genre d’attitude. Celui qui semblait le meneur, un assez beau
garçon d’une vingtaine d’années au sourire malicieux, plongea le bout de son
couteau dans le haut d’un cierge en train de se consumer et lança de la cire
fondue sur la calvitie du maître des novices. Quand la graisse brûlante
atterrit sur son crâne, le vieux moine s’éveilla avec un petit cri et les
jeunes éclatèrent de rire.
Avec un
soupir, Philip quitta sa place. Il approcha du jeune homme par-derrière, le
prit par l’oreille et, le tirant avec énergie, l’entraîna dans le transept sud.
Andrew leva les yeux de son livre de prières et regarda Philip en fronçant les
sourcils : il n’avait rien vu de la scène.
Lorsqu’ils
furent hors de portée de voix des moines, Philip s’arrêta, lâcha l’oreille du
jeune homme et demanda : « Ton nom ?
— William
Beauvis.
— Quel
démon t’a pris pendant la messe ? »
William se
renfrogna : « J’étais fatigué du service », dit-il.
Les moines
mécontents de leur sort ne risquaient pas de trouver un écho compatissant chez
Philip. « Fatigué ?, dit-il en haussant un peu le ton. Qu’as-tu fait
aujourd’hui ? »
William
prit un ton de défi : « Matines et laudes au milieu de la nuit, prime
avant le déjeuner, puis tierce, messe du chapitre, étude et maintenant grand-messe.
— As-tu
mangé ?
— J’ai
déjeuné.
— Tu
comptes souper ?
— Oui.
— La
plupart des gens de ton âge font dans les champs un travail éreintant du lever
au coucher du soleil pour gagner leur déjeuner et leur souper – et encore te
donnent-ils un peu de leur pain. Sais-tu pourquoi ils font cela ?
— Oui,
dit William en se dandinant sur ses pieds, les yeux baissés.
— Va.
— Ils
le font parce qu’ils veulent que les moines chantent les services pour eux.
— Exact.
Des paysans qui triment dur te donnent du
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