Les Piliers de la Terre
homme en aurait été si fier.
Il
conduisit les moines jusqu’aux stalles du chœur. Une messe de cette importance
était souvent célébrée par l’évêque. Elle le serait aujourd’hui par son
adjoint, l’archidiacre Waleran. Comme celui-ci commençait, Philip parcourut du
regard la congrégation, cherchant la famille que Waleran avait décrite. Il y
avait environ cent cinquante personnes dans la nef, les riches dans leurs
lourds manteaux d’hiver et leurs chaussures de cuir, les paysans dans leurs
vestes de gros tissu, leurs bottes de feutre ou leurs sabots. Philip n’eut
aucun mal à repérer les Hamleigh. Ils étaient au premier rang, tout près de
l’autel. Ce fut la femme qu’il vit d’abord. Waleran n’avait pas exagéré :
elle était repoussante. Elle portait un capuchon, mais son visage restait
visible, avec sa peau couverte de vilains boutons qu’elle tripotait sans cesse
nerveusement. Auprès d’elle se tenait un gros homme d’une quarantaine
d’années : Percy, sans doute. Ses vêtements montraient qu’il était riche
et puissant, mais pas au premier rang des barons et des comtes. Le fils, adossé
à l’un des énormes piliers de la nef, était un bel homme, aux cheveux très
jaunes, avec des yeux étroits au regard hautain. Un mariage avec la famille
d’un comte aurait permis aux Hamleigh de franchir la ligne qui séparait la
noblesse du comté de la noblesse du royaume. Pas étonnant qu’ils enrageaient à
cause de l’annulation du mariage.
Philip
reporta son attention sur la messe que Waleran menait un peu trop vite au goût
de Philip. Il se demanda encore une fois s’il avait eu raison d’accepter de
désigner Waleran comme candidat à l’évêché, lorsque l’évêque actuel
trépasserait. L’archidiacre était un homme pieux, mais il semblait sous-estimer
l’importance du culte. La prospérité et la puissance n’étaient après tout que
des moyens vers une fin ultime : le salut des âmes. Philip se
rassura : il n’avait plus à s’inquiéter de Waleran. La chose maintenant
faite. D’ailleurs l’évêque vivrait peut-être encore vingt ans, décevant ainsi
les ambitions de Waleran.
La
congrégation était bruyante. Personne ne connaissait les répons. Seuls les
prêtres et les moines participaient aux rites, sauf pour quelques prières
familières. Certains fidèles suivaient la messe dans un silence respectueux,
mais d’autres circulaient, se saluant entre eux et bavardant. Ce sont des gens
simples, songea Philip ; il faut faire quelque chose pour retenir leur
attention.
La messe
touchant à sa fin, l’archidiacre Waleran s’adressa aux fidèles. « La
plupart d’entre vous savent que le bien-aimé prieur de Kings-bridge est mort.
Son corps, qui repose ici avec nous dans l’église, sera inhumé aujourd’hui
après le dîner dans le cimetière du prieuré. L’évêque et les moines ont choisi
pour lui succéder frère Philip de Gwynedd, qui nous a conduits ce matin à
l’église. » Il s’arrêta et Philip se leva pour prendre la tête de la
procession à la sortie de la cathédrale. Waleran dit alors : « J’ai
une autre nouvelle à vous annoncer, bien triste. » Pris au dépourvu,
Philip se rassit précipitamment. « Je viens de recevoir un message »,
ajouta Waleran. Il n’avait reçu aucun message, Philip le savait. Ils avaient
passé toute la matinée ensemble. Où voulait donc en venir le rusé
archidiacre ?
« Ce
message me fait part d’une perte qui va nous toucher tous profondément. »
Il marqua un nouveau temps.
Quelqu’un
était mort – qui ? Waleran le savait avant d’arriver, mais il avait gardé
le secret et il allait prétendre qu’il venait seulement d’apprendre la
nouvelle. Pourquoi ?
Philip ne
voyait qu’une possibilité et, si ses soupçons se révélèrent fondés, alors
Waleran était encore plus ambitieux et dénué de scrupules qu’il ne l’avait
imaginé. Les avait-il vraiment tous trompés et manipulés ? Philip
n’avait-il été qu’un pion dans le jeu de Waleran ?
Les
derniers mots de Waleran confirmèrent ses doutes. « Mes bien chers frères,
dit-il solennellement, l’évêque de Kings-bridge est mort. »
« Cette
garce sera là, dit la mère de William. J’en suis sûre. »
William
contempla la haute façade de la cathédrale de Kings-bridge avec un mélange de
crainte et de nostalgie. Si lady Aliena devait assister à la messe de
l’Epiphanie, ce serait douloureusement
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