Les Piliers de la Terre
embarrassant pour eux tous, mais son
cœur néanmoins se mit à battre plus vite à la pensée de la revoir.
Ils
trottaient tous sur la route de Kings-bridge, William et son père sur des
destriers, sa mère sur un beau palefroi, accompagnés de trois chevaliers et de
trois valets. Ils formaient un cortège impressionnant et même redoutable, ce
qui plaisait à William ; et les paysans qui passaient sur la route
s’éparpillaient devant leurs puissantes montures ; mais la mère bouillait
de colère.
« Ils
savent tous, y compris ces coquins de serfs, dit-elle entre ses dents. Ils font
des plaisanteries sur notre dos. « Quand une fiancée est-elle sûre de ne
pas se marier ? Quand elle épouse Will Hamleigh ! « J’ai fait
fouetter en vain un homme pour de telles paroles. Ah ! Si je mettais la
main sur cette garce, je la flagellerais vivante et je la clouerais au mur en
laissant sa peau aux oiseaux. » William aurait tant voulu que sa mère se
taise. L’humiliation de la famille suffisait – William en portait la
responsabilité, du moins à ce que disait Mère – et il ne tenait pas à ce qu’on
le lui rappelât.
Ils
franchirent le pont de bois branlant qui menait au village de Kings-bridge et
poussèrent leurs chevaux dans la grand-rue en pente vers le prieuré. Il y avait
déjà vingt ou trente chevaux rassemblés sur l’herbe rase du cimetière, du côté
nord de l’église, mais pas un égalait ceux des Hamleigh. Ils continuèrent
jusqu’à l’écurie où ils confièrent leurs montures aux palefreniers du prieuré.
Ils
traversèrent la pelouse en formation groupée, William et son père encadrant
Mère, les chevaliers derrière eux et les valets fermant la marche. Les gens
s’écartaient sur leur passage, mais William les voyait se donner des coups de
coude et les montrer du doigt. A coup sûr ils cancanaient sur ce fameux mariage
annulé. Il risqua un coup d’œil vers Mère, dont la sombre expression révélait
qu’elle pensait à la même chose.
Ils
entrèrent dans la cathédrale.
William
détestait les églises. Elles étaient froides et sombres, même par beau temps,
elles sentaient toujours cette vague odeur de pourriture qui flottait dans les
recoins obscurs et les tunnels des nefs latérales. Pire, les églises évoquaient
dans son esprit les tourments de l’enfer, et il avait peur de l’enfer.
Il
parcourut des yeux la congrégation, s’habituant peu à peu à la pénombre. Pas
d’Aliena. La famille avança dans le bas-côté. Aliena ne se trouvait nulle part.
William en éprouva tout à la fois du soulagement et du regret. Mais soudain il
l’aperçut et son cœur se mit à battre la chamade.
Elle se
tenait du côté sud de la nef, escortée par un chevalier que William ne
connaissait pas, entourée d’hommes d’armes et de dames d’honneur. Elle lui
tournait le dos, mais il reconnaissait la masse de ses cheveux sombres et
bouclés. Elle fit un mouvement qui révéla la douce courbe d’une joue, un nez
droit et impérieux. Ses yeux, si sombres qu’ils étaient presque noirs,
rencontrèrent ceux de William. Il retint son souffle. Il aurait voulu paraître
indifférent, comme s’il ne l’avait pas reconnue, mais il ne pouvait pas
détacher d’elle son regard. En vain tenta-t-il d’esquisser un sourire, rien de
plus qu’un signe de politesse. Il se contenta d’incliner la tête. Le visage de
la jeune fille se durcit et elle se détourna.
William se
crispa, mal à l’aise. Il se sentait comme un chien qu’on vient d’écarter d’un
coup de pied, et comme un chien il aurait voulu se tapir dans un coin caché. Il
jeta autour de lui un coup d’œil furtif : quelqu’un avait-il surpris la
scène muette ? Sûrement, car les gens les observaient, lui et Aliena,
tandis que s’échangeaient force coup de coude et chuchotements. William gardait
les yeux fixés droit devant lui, se forçant à redresser la tête. Comment
a-t-elle pu nous faire un tel affront ? pensait-il.
Nous qui
représentons l’une des plus fières familles du sud de l’Angleterre, elle nous a
humiliés. A cette idée, sa colère redoublait et il brûlait d’envie de dégainer
son épée et d’attaquer quelqu’un, n’importe qui.
Le prévôt
de Shiring accueillit le père de William en lui touchant la main. Les gens déjà
cherchaient une nouvelle pâture à leurs commérages. William, en rage, observait
le cortège incessant de jeunes nobles qui abordaient Aliena et
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