Les Poilus (La France sacrifiée)
renforts venus par trains entiers de Russie avaient permis à Falkenhayn d’encercler les troupes qui s’étaient engouffrées dans la brèche. Castelnau y avait perdu son troisième fils.
Il donnait alors, le 6 octobre, le signal de la fin des combats qui devaient se prolonger sur d’autres fronts jusqu’au 11 octobre. En Artois et en Champagne, les Alliés avaient perdu 250 000 hommes, tués, blessés ou disparus, contre 140 000 Allemands. Toutes les conditions du succès avaient été réunies, mais l’organisation sur le terrain était défaillante. L’avance des unités n’avait pas été balisée avec une précision suffisante et l’entrée en ligne subissait de gros retards, dont l’ennemi profitait pour avancer au plus près ses batteries et ses mitrailleuses. Donati en est témoin : les lance-torpilles étaient dans la tranchée d’avant. La coordination des armes était également défectueuse. Les artilleurs recevaient mal les messages de l’aviation et encore plus mal ceux de l’infanterie, souvent victime de tirs mal réglés. Surtout l’emplacement des batteries allemandes, qui se déplaçaient sans cesse, n’était pas suivi de près par les observateurs. Fayolle concluait : « Maintenant il reste démontré que la percée n’est plus possible. Que faire désormais ? La solution n’est plus à attendre que de l’usure économique. » Pour les poilus de nouveau sacrifiés à une conception périmée de la guerre, était-ce la fin des offensives ?
5 LE POILU DE VERDUN
Depuis le 10 septembre 1915, le front retombe dans la guerre de tranchées. Les poilus passent l’automne et l’hiver en ligne, connaissent de nouveau l’alternance des jours de guet, de repos, d’exercices au cantonnement de l’arrière. Ils peuvent espérer retomber pour longtemps (qui sait ? Jusqu’à la paix ?) dans la routine de la guerre de position, à peine ponctuée de coups de main. Ils ne peuvent savoir qu’ils ont, à brève échéance, rendez-vous avec l’Histoire.
Les Français combattant à Verdun en 1916 n’ont rien de commun avec les pantalons rouges d’août 14, ni avec les victimes très nombreuses des batailles des frontières, de la Marne, ou des offensives de 1915. Ceux qui vont mourir à Verdun vont faire la preuve, toujours évocable de nos jours, qu’un peuple ne peut disparaître, même sous le coup de la plus industrielle des agressions, s’il réussit, par son courage, sa volonté de survie, à l’emporter sur un calcul d’anéantissement. Celui de Verdun, le premier de l’Histoire, faisait dépendre la victoire non d’une percée des lignes ou d’une stratégie, mais de la révélation que la sidérurgie ou la chimie pouvaient avoir raison d’une guerre, juste ou injuste, et imposer par l’horreur déployée l’arrêt immédiat des combats. La guerre changeait de nature et d’échelle. Elle n’avait plus rien d’humain.
Avant ce massacre programmé, les soldats en ligne d’un bout à l’autre du front croient pouvoir se reposer dans les tranchées. Ils sont rapidement détrompés. Pendant que les unités décimées se réorganisent et font appel à des renforts venus des dépôts, les duels d’artillerie se poursuivent en Artois et en Champagne, qui ne laissent pas les poilus au repos la nuit dans les abris. La guerre des mines reprend, en Argonne, en Woëvre, nerveusement épuisante, angoissante pour les équipes de relève qui ne savent jamais si l’explosion va survenir pendant leur tour de guet. Les officiers allemands cherchent à reconquérir les positions perdues pour leurs observatoires d’artillerie, et lancent fréquemment des coups de main meurtriers.
De la sorte, le front n’est jamais calme et les secteurs restent alternativement soumis à d’incessantes opérations locales. Tous les jours, on enregistre des pertes, et les comptables de l’état-major établissent des moyennes mensuelles.
Ainsi en Artois, le 14 novembre, les Bavarois attaquent un corps encore meurtri par la bataille de la X e armée, dans la région du Labyrinthe où le sang français a beaucoup coulé. On se bat férocement pour quelques mètres de territoire.
L’ennemi renouvelle son attaque quelques jours plus tard, en faisant sauter une mine. Les fantassins de Pétain et de Langle de Cary ne sont pas plus tranquilles que ceux de Foch. Le 6 décembre, le bombardement accable la région de Saint-Hilaire et de Saint-Souplet dans la Marne. Un bataillon de
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